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sacrées les vertus personnelles, telles que la tempérance, la chasteté, etc., qui sont, comme nous l’avons vu, entièrement méconnues pendant les premières périodes. Il serait, d’ailleurs, inutile de répéter ce que j’ai dit à ce sujet dans le quatrième chapitre. En un mot, notre sens moral, ou notre conscience, se compose d’un sentiment essentiellement complexe, basé sur les instincts sociaux, encouragé et dirigé par l’approbation de nos semblables, réglé par la raison, par l’intérêt, et, dans des temps plus récents, par de profonds sentiments religieux, renforcés par l’instruction et par l’habitude.

Sans doute, un degré très élevé de moralité ne procure à chaque individu et à ses descendants que peu ou point d’avantages sur les autres membres de la même tribu, mais il n’en est pas moins vrai que le progrès du niveau moyen de la moralité et l’augmentation du nombre des individus bien doués sous ce rapport procurent certainement à une tribu un avantage immense sur une autre tribu. Si une tribu renferme beaucoup de membres qui possèdent à un haut degré l’esprit de patriotisme, de fidélité, d’obéissance, de courage et de sympathie, qui sont toujours prêts, par conséquent, à s’entr’aider et à se sacrifier au bien commun, elle doit évidemment l’emporter sur la plupart des autres tribus ; or c’est là ce qui constitue la sélection naturelle. De tout temps et dans le monde entier, des tribus en ont supplanté d’autres ; or, comme la morale est un des éléments de leur succès, le nombre des hommes chez lesquels son niveau s’élève tend partout à augmenter.

Il est toutefois très difficile d’indiquer pourquoi une tribu quelconque plutôt qu’une autre réussit à s’élever sur l’échelle de la civilisation. Beaucoup de sauvages sont restés ce qu’ils étaient au moment de leur découverte, il y a quelques siècles. Nous sommes disposés, ainsi que l’a fait remarquer M. Bagehot, à considérer le progrès comme la règle normale de la société humaine ; mais l’histoire contredit cette hypothèse. Les anciens n’avaient pas plus l’idée du progrès que ne l’ont, de nos jours, les nations orientales. D’après une autre autorité, sir Henry Maine[1], « la plus grande partie de l’humanité n’a jamais manifesté le moindre désir de voir améliorer ses institutions civiles. » Le progrès semble dépendre du concours d’un grand nombre de conditions favorables, beaucoup trop compliquées pour qu’on puisse les indiquer toutes. Toutefois on a souvent remarqué qu’un climat tempéré, qui favorise

  1. Ancient Law, 1861, p. 22. Pour les remarques de M. Bagehot, Fortnightly Review, avril 1868, p. 452.