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sées du globe, sur les plaines inhabitées de l’Amérique et dans les îles isolées de l’océan Pacifique, des ruines de monuments élevés par des tribus éteintes ou oubliées. Aujourd’hui les nations civilisées remplacent partout les peuples barbares, sauf là où le climat leur oppose une barrière infranchissable ; elles réussissent surtout, quoique pas exclusivement, grâce à leurs arts, produits de leur intelligence. Il est donc très probable que la sélection naturelle a graduellement perfectionné les facultés intellectuelles de l’homme ; conclusion qui suffit au but que nous nous proposons. Il serait, sans doute, très intéressant de retracer le développement de toutes les facultés, de les prendre l’une après l’autre à l’état où elles existent chez les animaux inférieurs et d’étudier les transformations successives par lesquelles elles ont passé pour en arriver à ce qu’elles sont chez l’homme civilisé ; mais c’est là une tentative que ne me permettent ni mes connaissances ni le temps dont je puis disposer.

Dès que les ancêtres de l’homme sont devenus sociables, progrès qui a dû probablement s’accomplir à une époque extrêmement reculée, des causes importantes, dont nous ne trouvons que des traces chez les animaux inférieurs, c’est-à-dire l’imitation, la raison et l’expérience, ont dû faciliter et modifier le développement des facultés intellectuelles de l’homme. Les singes, tout comme les sauvages les plus grossiers, sont très portés à l’imitation ; en outre, nous avons déjà constaté que, au bout de quelque temps, on ne peut plus prendre un animal à la même place avec le même genre de piège, ce qui prouve que les animaux s’instruisent par l’expérience et savent imiter la prudence des autres. Or si, dans une tribu quelconque, un homme plus sagace que les autres vient à inventer un piège ou une arme nouvelle, ou tout autre moyen d’attaque ou de défense, le plus simple intérêt, sans qu’il soit besoin d’un raisonnement bien développé, doit pousser les autres membres de la tribu à l’imiter, et tous profitent ainsi de la découverte. La pratique habituelle de chaque art nouveau doit aussi, dans une certaine mesure, fortifier l’intelligence. Si la nouvelle invention est importante, la tribu augmente en nombre, se répand et supplante d’autres tribus. Une tribu, devenue ainsi plus nombreuse, peut toujours espérer voir naître dans son sein d’autres membres supérieurs en sagacité et à l’esprit inventif. Ceux-ci transmettent à leurs enfants leur supériorité mentale ; chaque jour donc, on peut compter qu’il naîtra un nombre plus considérable d’individus encore plus ingénieux ; en tout cas, les chances sont très certainement plus grandes dans une tribu nombreuse que dans une petite tribu. Dans le cas même où ces individus supérieurs ne laisseraient pas d’enfants, leurs parents