Page:Darwin - La Descendance de l’homme, 1881.djvu/172

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de pouvoir échapper plus facilement au danger d’être découverts. Lorsqu’ils vont habiter un climat plus froid, il faut, ou qu’ils revêtent une fourrure plus épaisse, ou que leur constitution se modifie, à défaut de quoi ils cessent d’exister.

Le cas est tout différent, ainsi que le constate avec raison M. Wallace, quand il s’agit des facultés intellectuelles et morales de l’homme. Ces facultés sont variables ; en outre, nous avons toute raison de croire que les variations sont héréditaires. En conséquence, si ces facultés ont eu, autrefois, une grande importance pour l’homme primitif et ses ancêtres simio-humains, la sélection naturelle a dû les développer et les perfectionner. On ne peut mettre en doute la haute importance des facultés intellectuelles, puisque c’est à elles que l’homme doit principalement sa position prééminente dans le monde. Il est facile de comprendre que, dans l’état primitif de la société, les individus les plus sagaces, ceux qui employaient les meilleures armes ou inventaient les meilleurs pièges, ceux qui, en un mot, savaient le mieux se défendre, devaient laisser la plus nombreuse descendance. Les tribus renfermant la plus grande quantité d’hommes ainsi doués devaient augmenter rapidement en nombre et supplanter d’autres tribus. Le nombre des habitants dépend d’abord des moyens de subsistance ; ceux-ci, à leur tour, dépendent en partie de la nature physique du pays, mais, à un bien plus haut degré, des arts qu’on y cultive. Lorsqu’une tribu augmente en nombre et devient conquérante, elle s’accroît souvent encore davantage par l’absorption d’autres tribus[1]. La taille et la force des membres d’une tribu exercent certainement une grande influence sur sa réussite ; or ces conditions dépendent beaucoup de la nature et de l’abondance des aliments dont ils peuvent disposer. Les hommes de la période du bronze, en Europe, firent place à une race plus puissante, et, à en juger d’après les poignées des sabres, à main plus grande[2] ; mais le succès de cette race résulte probablement beaucoup plus de sa supériorité dans les arts.

Tout ce que nous savons des sauvages, tout ce que nous enseigne l’étude de leurs traditions ou de leurs anciens monuments, car les habitants actuels ont complètement perdu le souvenir des faits qui se rattachent à ces traditions et à ces monuments, nous prouve que, dès les époques les plus reculées, certaines tribus ont réussi à en supplanter d’autres. On a découvert dans toutes les régions civili-

  1. Les individus ou les tribus qui sont absorbés dans une autre tribu prétendent à la longue, ainsi que l’a fait remarquer M. Maine (Ancient Law, 1861, p. 131), qu’ils sont les co-descendants des mêmes ancêtres.
  2. Morlot, Soc. vaudoise des Sc. naturelles, 1860, p. 294.