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rentes phases qu’elles ont traversées. On ne peut du moins contester que cette évolution soit possible, puisque, tous les jours, nous contemplons le développement de ces facultés chez l’enfant ; puisqu’enfin nous pouvons établir une gradation parfaite entre l’état mental du plus complet idiot, qui est bien inférieur à l’animal, et les facultés intellectuelles d’un Newton.


CHAPITRE V


SUR LE DÉVELOPPEMENT DES FACULTÉS INTELLECTUELLES ET MORALES
PENDANT LES TEMPS PRIMITIFS ET LES TEMPS CIVILISÉS


Développement des facultés intellectuelles par la sélection naturelle. – Importance de l’imitation. – Facultés sociales et morales. – Leur développement dans les limites d’une même tribu. – Action de la sélection naturelle sur les nations civilisées. – Preuves de l’état antérieur barbare des nations civilisées.


Les questions qui font l’objet de ce chapitre, questions que je ne pourrai traiter que d’une matière très incomplète et par fragments, offrent le plus haut intérêt. M. Wallace, dans un admirable mémoire déjà cité[1], soutient que la sélection naturelle et les autres causes analogues n’ont dû exercer qu’une influence bien secondaire sur les modifications corporelles de l’homme, dès qu’il eut partiellement acquis les qualités intellectuelles et morales qui le distinguent des animaux inférieurs ; ces facultés mentales, en effet, le mettent à même « d’adapter son corps, qui ne change pas, à l’univers, qui se modifie constamment ». L’homme sait admirablement conformer ses habitudes à de nouvelles conditions d’existence. Il invente des armes, des outils et divers engins, à l’aide desquels il se défend et se procure ses aliments. Lorsqu’il va habiter un climat plus froid, il se sert de vêtements, se construit des abris, et fait du feu, qui, outre qu’il le réchauffe, lui sert aussi à faire cuire des aliments qu’il lui serait autrement impossible de digérer. Il rend de nombreux services à ses semblables et prévoit les événements futurs. Il pratiquait déjà une certaine division du travail à une période très reculée.

La conformation corporelle des animaux doit, au contraire, se modifier profondément pour qu’ils puissent subsister dans des conditions très nouvelles. Il faut qu’ils deviennent plus forts, qu’ils s’arment de dents et de griffes plus efficaces pour se défendre contre de nouveaux ennemis, ou bien que leur taille diminue afin

  1. Anthropological Review, May, 1864, p. clviii.