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morales inférieures, bien que cette qualification ne soit pas absolument correcte lorsqu’elles exigent un sacrifice personnel, se rapportent principalement à l’individu lui-même, et doivent leur origine à l’opinion publique mûrie par l’expérience et par la civilisation, car elles sont inconnues aux tribus grossières.

À mesure que l’homme avance en civilisation et que les petites tribus se réunissent en communautés plus nombreuses, la simple raison indique à chaque individu qu’il doit étendre ses instincts sociaux et sa sympathie à tous les membres de la même nation, bien qu’ils ne lui soient pas personnellement connus. Ce point atteint, une barrière artificielle seule peut empêcher ses sympathies de s’étendre à tous les hommes de toutes les nations et de toutes les races. L’expérience nous prouve, malheureusement, combien il faut de temps avant que nous considérions comme nos semblables les hommes qui diffèrent considérablement de nous par leur aspect extérieur et par leurs coutumes. La sympathie étendue en dehors des bornes de l’humanité, c’est-à-dire la compassion envers les animaux, paraît être une des dernières acquisitions morales. Elle est inconnue chez les sauvages, sauf pour leurs animaux favoris. Les abominables combats des gladiateurs montrent combien peu les anciens Romains en avaient le sentiment. Autant que j’ai pu en juger, l’idée d’humanité est inconnue à la plupart des Gauchos des Pampas. Cette qualité, une des plus nobles dont l’homme soit doué, semble provenir incidemment de ce que nos sympathies, devenant plus délicates à mesure qu’elles s’étendent davantage, finissent par s’appliquer à tous les êtres vivants. Cette vertu, une fois honorée et cultivée par quelques hommes, se répand chez les jeunes gens par l’instruction et par l’exemple, et finit par faire partie de l’opinion publique.

Nous atteignons le plus haut degré de culture morale auquel il soit possible d’arriver, quand nous reconnaissons que nous devons contrôler toutes nos pensées et « que nous ne regrettons plus, même dans notre for intérieur, les errements qui nous ont rendu le passé si agréable[1], » Tout ce qui familiarise l’esprit avec une mauvaise action en rend l’accomplissement plus facile. Ainsi que l’a dit il y a fort longtemps Marc-Aurèle : « Telles sont tes pensées habituelles, tel sera aussi le caractère de ton esprit ; car les pensées déteignent sur l’âme[2]. »

Notre grand philosophe, Herbert Spencer, a récemment émis

  1. Tennyson, Idyls of the King, p. 244.
  2. The Thoughts of the emperor M. Aurelius Antoninus, trad. anglaise 2e  édit., 1869, p. 112. M. Aurelius est né 121 ans après J.-C.