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CHAPITRE IV


COMPARAISON DES FACULTÉS MENTALES DE L’HOMME
AVEC CELLES DES ANIMAUX (suite).


Le sens moral. — Proposition fondamentale. — Les qualités des animaux sociables. — Origine de la sociabilité. — Lutte entre les instincts contraires. — L’homme, animal sociable. — Les instincts sociaux durables l’emportent sur d’autres instincts moins persistants. — Les sauvages n’estiment que les vertus sociales. — Les vertus personnelles s’acquièrent à une phase postérieure du développement. — Importance du jugement des membres d’une même communauté sur la conduite. — Transmission des tendances morales. — Résumé.


Je partage entièrement l’opinion des savants[1] qui affirment que, de toutes les différences existant entre l’homme et les animaux, c’est le sens moral ou la conscience, qui est de beaucoup la plus importante. Le sens moral, ainsi que le fait remarquer Mackintosh[2], « l’emporte à juste titre sur tout autre principe d’action humaine ; » il résume dans ce mot court, mais impérieux, le devoir, dont la signification est si élevée. C’est le plus noble attribut de l’homme qui le pousse à risquer, sans hésitation, sa vie pour celle d’un de ses semblables ; ou l’amène, après mûre délibération, à la sacrifier à quelque grande cause, sous la seule impulsion d’un profond sentiment de droit ou de devoir. Kant s’écrie : « Devoir ! pensée merveilleuse qui n’agit ni par l’insinuation, ni par la flatterie, ni par la menace, mais en te contentant de te présenter à l’âme dans ton austère simplicité ; tu commandes ainsi le respect, sinon toujours l’obéissance ; devant toi tous les appétits restent muets, si rebelles qu’ils soient en secret ; d’où tires-tu ton origine[3] ? »

Bien des écrivains de grand mérite ont discuté cette immense question[4] ; si je l’effleure ici, c’est qu’il m’est impossible de la passer sous silence, et que personne, autant que je le sache toutefois, ne l’a abordée exclusivement au point de vue de l’histoire naturelle. La recherche en elle-même offre, d’ailleurs, un vif intérêt, puisqu’elle nous permet de déterminer jusqu’à quel point l’étude

  1. Voir par exemple, sur ce sujet, de Quatrefages, Unité de l’espèce humaine, 1861, p. 21, etc.
  2. Dissertation on Ethical Philosophy, 1837, p. 231.
  3. J.-W. Semple, Metaphysics of moral science, Edimbourg 1836, p. 136.
  4. Dans son ouvrage, Mental and moral science, 1868, pp. 549, 725, M. Bain cite une liste de vingt-six auteurs anglais qui ont traité ce sujet ; à ces noms bien connus j’ajouterai celui de M. Bain lui-même et ceux de MM. Lecky, Shadworth Hodgson, et sir J. Lubbock, pour n’en tirer que quelques-uns.