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d’autres sons, rappelle la corrélation de croissance. Dans les deux cas, langues et espèces, nous observons la réduplication des parties, les effets de l’usage longtemps continué, et ainsi de suite. La présence fréquente de rudiments, tant dans les langues que dans les espèces, est encore plus remarquable. Dans l’orthographe des mots, il reste souvent des lettres représentant les rudiments d’anciennes prononciations. Les langues, comme les êtres organisés, peuvent se classer en groupes subordonnés ; on peut aussi les classer naturellement selon leur dérivation, ou artificiellement, d’après d’autres caractères. Les langues et les dialectes dominants se répandent rapidement et amènent l’extinction d’autres langages. De même qu’une espèce, une langue une fois éteinte ne reparaît jamais, ainsi que le fait remarquer sir C. Lyell. Le même langage ne surgit jamais en deux endroits différents ; et des langues distinctes peuvent se croiser ou se fondre les unes avec les autres[1]. La variabilité existe dans toutes les langues, et des mots nouveaux s’introduisent constamment ; mais, comme la mémoire est limitée, certains mots, comme des langues entières, disparaissent peu à peu : « On observe dans chaque langue, ainsi que Max Müller[2] l’a fait si bien remarquer, une lutte incessante pour l’existence entre les mots et les formes grammaticales. Les formes les plus parfaites, les plus courtes et les plus faciles, tendent constamment à prendre le dessus, et doivent leur succès à leur vertu propre. » On peut, je crois, à ces causes plus importantes de la persistance de certains mots, ajouter la simple nouveauté et la mode ; car il y a dans l’esprit humain un amour prononcé pour de légers changements en toutes choses. Cette persistance, cette conservation de certains mots favorisés dans la lutte pour l’existence, est une sorte de sélection naturelle.

On a soutenu que la construction parfaitement régulière et étonnamment complexe des langues d’un grand nombre de nations barbares est une preuve, soit de l’origine divine de ces langues, soit de la haute intelligence et de l’antique civilisation de leurs fondateurs. « Nous observons fréquemment, dit à ce sujet F. von Schlegel, dans les langues qui paraissent représenter le degré le plus infime de la culture intellectuelle, une structure grammaticale admirablement élaborée. On peut appliquer cette remarque principalement au basque et au lapon, ainsi qu’à beaucoup de langues amé-

  1. Voir, à ce sujet, les remarques contenues dans un article intéressant du Rév. F.-W. Farrar, intitulé Philosophy and Darwinism, publié dans le no du 21 mars 1870, p. 528, du journal Nature.
  2. Nature, 6 janvier 1870, p. 257.