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ont été principalement obtenus à l’aide de ces parties si admirablement ajustées, la langue et les lèvres[1]. Le fait que les singes supérieurs ne se servent pas de leurs organes vocaux pour parler, dépend, sans doute, de ce que leur intelligence n’a pas suffisamment progressé. Les singes possèdent, en somme, des organes qui, avec une longue pratique, auraient pu leur donner la parole, mais ils ne s’en sont jamais servis ; nous trouvons, d’ailleurs, chez beaucoup d’oiseaux, un exemple analogue ; ils possèdent tous les organes nécessaires au chant, et cependant ils ne chantent jamais. Ainsi, les organes vocaux du rossignol et ceux du corbeau ont une construction analogue ; le premier s’en sert pour moduler les chants les plus variés ; le second ne fait jamais entendre qu’un simple croassement[2]. Mais pourquoi les singes n’ont-ils pas une intelligence aussi développée que celle de l’homme ? C’est là une question à laquelle on ne peut répondre qu’en invoquant les causes générales ; en effet, notre ignorance relativement aux phases successives du développement qu’a traversées chaque créature est si incomplète qu’il serait déraisonnable de s’attendre à rien de défini.

Il est à remarquer, et c’est un fait extrêmement curieux, que les causes qui expliquent la formation des langues différents expliquent aussi la formation des espèces distinctes ; ces causes peuvent se résumer en un seul mot : le développement graduel ; et les preuves à l’appui sont exactement les mêmes dans les deux cas[3]. Nous pouvons, toutefois, remonter plus près de l’origine de bien des mots que de celle des espèces, car nous pouvons saisir, pour ainsi dire, sur le fait, la transformation de certains sons en mots, lesquels ne sont après tout que des imitations de ces sons. Nous rencontrons dans des langues distinctes, des homologies frappantes dues à la communauté de descendance, et des analogies dues à un procédé semblable de formation. L’altération de certaines lettres ou de certains sons, produite par la modification d’autres lettres ou

  1. Voir, pour quelques excellentes remarques sur ce point, docteur Maudsley, Physiology and Pathology of Mind, 1868, p. 199.
  2. Macgillivray, History of British Birds, 1839, t. II, p. 29. Un excellent observateur, M. Blackwall, remarque que la pie apprend à prononcer des mots isolés et même de courtes phrases plus promptement que tout autre oiseau anglais ; cependant il ajoute qu’après avoir fait de longues et minutieuses recherches sur ses habitudes il n’a jamais trouvé que, à l’état de nature, cet oiseau manifestât aucune capacité inusitée pour l’imitation. (Researches in Zoology, 1834, p. 158.)
  3. Voy. l’intéressant parallélisme entre le développement des espèces et celui des langages, établi par sir C. Lyell, The Geological Evidences of the Antiquity of Man, 1863, chap. xxiii.