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étincelles ont pu se produire, et, en les aiguisant, de la chaleur se dégager : « d’où l’origine possible des deux méthodes ordinaires pour se procurer le feu. » La nature du feu devait, d’ailleurs, être connue dans les nombreuses régions volcaniques où la lave coule parfois dans les forêts. Les singes anthropomorphes, guidés probablement par l’instinct, construisent pour leur usage des plates-formes temporaires ; mais, comme beaucoup d’instincts sont largement contrôlés par la raison, les plus simples, tels que celui qui pousse à la construction d’une plate-forme, ont pu devenir un acte volontaire et conscient. On sait que l’orang se couvre la nuit avec des feuilles de Pandanus, et Brehm constate qu’un de ses babouins avait l’habitude de s’abriter de la chaleur du soleil en se couvrant la tête avec un paillasson. Les habitudes de ce genre représentent probablement les premiers pas vers quelques-uns des arts les plus simples, notamment l’architecture grossière et l’habillement, tels qu’ils ont dû se pratiquer chez les premiers ancêtres de l’homme.


Abstraction, conceptions générales, conscience de soi, individualité mentale. — Jusqu’à quel point les animaux possèdent-ils des traces de ces hautes facultés intellectuelles ? C’est là une question qu’il est difficile, pour ne point dire impossible, de résoudre. Cette difficulté provient de ce qu’il nous est impossible de savoir ce qui se passe dans l’esprit de l’animal ; en outre, on est loin d’être d’accord sur la signification exacte qu’il convient d’attribuer à ces divers termes. Si l’on en peut juger par divers articles publiés récemment, on semble s’appuyer surtout sur le fait que les animaux ne possèdent pas la faculté de l’abstraction, c’est-à-dire qu’ils sont incapables de concevoir des idées générales. Mais, quand un chien aperçoit un autre chien à une grande distance, son attitude indique souvent qu’il conçoit que c’est un chien, car, quand il s’approche, cette attitude change du tout au tout s’il reconnaît un ami. Un écrivain récent fait remarquer que, dans tous les cas, c’est une pure supposition que d’affirmer que l’acte mental n’a pas exactement la même nature chez l’animal et chez l’homme. Si l’un et l’autre rattachent ce qu’ils conçoivent au moyen de leurs sens à une conception mentale, tous deux agissent de la même manière[1]. Quand je crie à mon chien de chasse, et j’en ai fait l’expérience bien des fois : « Hé, hé, où est-il ? » il comprend immédiatement qu’il s’agit de chasser un animal quelconque ; ordinairement

  1. M. Hookham, dans une lettre adressée au professeur Max Müller, Birmingham News, mai 1873.