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habituel de toutes ses facultés pour échapper à l’extirpation par l’homme, ainsi qu’au fait qu’il a successivement détruit tous les rats moins rusés et moins intelligents que lui. Il est possible, cependant, que le succès du rat commun dépende de ce qu’il était plus rusé que les autres espèces du même genre avant de s’être trouvé en contact avec l’homme. Vouloir soutenir sans preuves directes que, dans le cours des âges, aucun animal n’a progressé en intelligence ou en d’autres facultés mentales, est supposer ce qui est en question dans l’évolution de l’espèce. Nous verrons plus loin que, d’après Lartet, certains mammifères existants, appartenant à plusieurs ordres, ont le cerveau plus développé que leurs anciens prototypes de l’époque tertiaire.

On a souvent affirmé qu’aucun animal ne se sert d’outils ; mais, à l’état de nature, le chimpanzé se sert d’une pierre pour briser un fruit indigène à coque dure[1], ressemblant à une noix. Rengger[2] enseigna à un singe américain à ouvrir ainsi des noix de palme ; le singe se servit ensuite du même procédé pour ouvrir d’autres sortes de noix, ainsi que des boîtes. Il enlevait aussi la peau des fruits, quand elle était désagréable au goût. Un autre singe, auquel on avait appris à soulever le couvercle d’une grande caisse avec un bâton, se servit ensuite d’un bâton comme d’un levier pour remuer les corps pesants, et j’ai, moi-même, vu un jeune orang enfoncer un bâton dans une crevasse, puis le saisissant par l’autre bout, s’en servir comme d’un levier. On sait que, dans l’Inde, les éléphants apprivoisés brisent des branches d’arbres et s’en servent comme de chasse-mouches ; on a observé un éléphant sauvage qui avait la même habitude[3]. J’ai vu un jeune orang femelle s’envelopper d’une couverture ou se couvrir de paille pour se protéger contre les coups quand elle redoutait d’être fouettée. Les pierres et les bâtons servent d’outils dans les cas précités ; les animaux les emploient également comme armes. Brehm[4] affirme, sur l’autorité du voyageur bien connu Schimper, qu’en Abyssinie, lorsque les babouins de l’espèce C. gelada descendent en troupe des montagnes pour piller les champs, ils rencontrent quelquefois des bandes d’une autre espèce (C. hamadryas) avec lesquelles ils se battent. Les gelada font rouler, sur le flanc de la montagne, de grosses pierres que les Hamadryas cherchent à éviter, puis les adversaires se précipitent avec fureur les uns sur les

  1. Savage et Wyman, Boston Journal of Nat. History, 1843-44, vol. Iv, p. 383.
  2. Säugethiere von Paraguay, 1830, pp. 51, 56.
  3. The Indian Field, 4 mars 1871.
  4. Thierleben, vol. I, pp. 79, 82.