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légères, et qu’il lui faudrait une expérience moins longue pour reconnaître les rapports qui existent entre ces circonstances ; or c’est là un point qui a une grande importance. J’ai noté chaque jour les actions d’un de mes enfants, alors qu’il avait environ onze mois et qu’il ne pouvait pas encore parler ; or j’ai été continuellement frappé de la promptitude plus grande avec laquelle toutes sortes d’objets et de sons s’associaient dans son esprit, comparativement avec ce qui se passait dans l’esprit des chiens les plus intelligents que j’aie connus. Mais les animaux supérieurs diffèrent exactement de la même façon des animaux inférieurs, tels que le brochet, par cette faculté de l’association des idées, aussi bien que par la faculté d’observation et de déduction.

Les actions suivantes, accomplies après une courte expérience par les singes américains qui occupent un rang peu élevé dans leur ordre, prouvent évidemment l’intervention de la raison. Rengger, observateur très circonspect, raconte que les premières fois qu’il donna des œufs à ses singes, ils les écrasèrent si maladroitement qu’ils laissèrent échapper une grande partie du contenu ; bientôt, ils imaginèrent de frapper doucement une des extrémités de l’œuf contre un corps dur, puis d’enlever les fragments de la coquille à l’aide de leurs doigts. Après s’être coupés une fois seulement avec un instrument tranchant, ils n’osèrent plus y toucher, ou ne le manièrent qu’avec les plus grandes précautions. On leur donnait souvent des morceaux de sucre enveloppés dans du papier ; Rengger, ayant quelquefois substitué une guêpe vivante au sucre, ils avaient été piqués en déployant le papier trop vite, si bien qu’ensuite ils eurent soin de toujours porter le paquet à leur oreille pour s’assurer si quelque bruit se produisait à l’intérieur[1].

Les cas suivants se rapportent à des chiens. M. Colquhoun[2] blessa à l’aile deux canards sauvages qui tombèrent sur la rive opposée d’un ruisseau ; son chien chercha à les rapporter tous les deux ensemble sans pouvoir y parvenir. L’animal qui, auparavant, n’avait jamais froissé une pièce de gibier, se décida à tuer un des oiseaux, apporta celui qui était encore vivant et retourna chercher le mort. Le colonel Hutchinson raconte que sur deux perdrix atteintes d’un même coup de feu, l’une fut tuée et l’autre blessée ; cette dernière se sauva et fut rattrapée par le chien, qui, en reve-

  1. M. Belt, dans son très intéressant ouvrage The Naturalist in Nicaragua, 1874, p. 119, décrit aussi diverses actions d’un Cebus apprivoisé ; ces actions démontrent, je crois, que cet animal possédait, dans une certaine mesure, la faculté du raisonnement.
  2. The Moor and the Loch, p. 45. – Col. Hutchinson, Dog Breaking, 1850, p. 46.