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gré ; un léger mouvement imprimé à une boule de bois, à demi-cachée sous la paille, et qui leur était familière comme leur servant de jouet habituel, les fit décamper aussitôt. Ces singes se comportaient tout différemment lorsqu’on introduisait dans leurs cages un poisson mort, une souris[1], une tortue vivante, car, bien que ressentant d’abord une certaine frayeur, ils ne tardaient pas à s’en approcher pour les examiner et les manier. Je mis alors un serpent vivant dans un sac de papier mal fermé que je déposai dans un des plus grands compartiments. Un des singes s’en approcha immédiatement, entr’ouvrit le sac avec précaution, y jeta un coup d’œil, et se sauva à l’instant. Je fus alors témoin de ce qu’a décrit Brehm, car tous les singes, les uns après les autres, la tête levée et tournée de côté, ne purent résister à la tentation de jeter un rapide regard dans le sac, au fond duquel le terrible animal restait immobile. Il semblerait presque que les singes ont quelques notions sur les affinités zoologiques, car ceux que Brehm a élevés témoignaient d’une terreur instinctive étrange, quoique non motivée, devant d’innocents lézards ou des grenouilles. On a observé aussi qu’un orang a ressenti une grande frayeur la première fois qu’il a vu une tortue[2].

La faculté de l’imitation est puissante chez l’homme, et surtout, comme j’ai pu m’en assurer moi-même, chez l’homme à l’état sauvage. La tendance à l’imitation devient excessive dans certains états morbides du cerveau ; les personnes atteintes d’hémiplégie ou de ramollissement du cerveau, répètent inconsciemment, pendant les premières phases de la maladie, tous les mots qu’ils entendent, que ces mots appartiennent ou non à leur propre langage, ou imitent tous les gestes qu’ils voient faire auprès d’eux[3]. Desor[4] fait remarquer qu’aucun animal n’imite volontairement une action accomplie par l’homme jusqu’à ce que, remontant l’échelle, on arrive aux singes, dont on connaît la tendance à être de comiques imitateurs. Les animaux, cependant, imitent quelquefois les actions des autres animaux qui les entourent : ainsi, deux loups appartenant à des espèces différentes, élevés par des chiens, avaient appris à aboyer, comme le fait parfois le chacal[5], mais reste à savoir si on peut appeler cela une imitation volontaire. Les

  1. Voir l’Expression des Émotions, p. 155, pour l’attitude des singes dans cette occasion.
  2. W.-C.-L. Martin, Nat. hist. of Mammalia, 1841, p. 405.
  3. Docteur Bateman, On Aphasia, 1870, p. 110.
  4. Cité par Vogt, Mémoires sur les Microcéphales, 1867, p. 168.
  5. Darwin, Variations des Animaux et des Plantes à l’état domestique, vol. I, p. 29 (Paris, Reinwald).