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pas ; mais, comme les animaux domestiques, lorsqu’on les met en liberté au printemps, mangent souvent des herbes vénéneuses qu’ils évitent ensuite, nous ne pouvons pas non plus affirmer que les singes n’aient pas appris, par leur propre expérience ou par celle de leurs parents, à reconnaître les fruits qu’ils doivent choisir. Il est toutefois certain, comme nous allons le voir, que les singes éprouvent une terreur instinctive à la vue des serpents et, probablement, d’autres animaux dangereux.

Le petit nombre et la simplicité comparative des instincts chez les animaux supérieurs contrastent remarquablement avec ceux des animaux inférieurs. Cuvier soutenait que l’instinct et l’intelligence sont en raison inverse ; d’autres ont pensé que les facultés intellectuelles des animaux élevés ne sont que des instincts graduellement développés. Mais Pouchet[1] a démontré dans un mémoire intéressant qu’il n’existe réellement aucune raison inverse de ce genre. Les insectes qui possèdent les instincts les plus remarquables sont certainement les plus intelligents. Les membres les moins intelligents de la classe des vertébrés, à savoir les poissons et les amphibies, n’ont pas d’instincts compliqués ; et, parmi les mammifères, l’animal le plus remarquable par les siens, le castor, possède une grande intelligence, ainsi que l’admettent tous ceux qui ont lu l’excellent travail de M. Morgan[2] sur cet animal.

M. Herbert Spencer[3] soutient que les premières lueurs de l’intelligence se sont développées par la multiplication et la coordination d’actions réflexes ; or, bien que la plupart des instincts les plus simples se confondent avec les actions réflexes, au point qu’il est presque impossible de les distinguer les uns des autres, la succion, par exemple, chez les jeunes animaux, les instincts plus complexes paraissent, cependant, s’être formés indépendamment de l’intelligence. Je suis toutefois très éloigné de vouloir nier que des actions instinctives puissent perdre leur caractère fixe et naturel, et être remplacées par d’autres accomplies par la libre volonté. D’autre part, certains actes d’intelligence, — tels, par exemple, que celui des oiseaux des îles de l’océan qui apprennent à éviter l’homme, — peuvent, après avoir été pratiqués pendant plusieurs générations, se transformer en instincts héréditaires. On peut dire alors que ces actes ont un caractère d’infériorité, car ce n’est plus la raison ou l’expérience qui les fait accomplir. Mais la plupart des instincts plus complexes paraissent avoir été acquis d’une manière toute

  1. L’instinct chez les Insectes (Revue des Deux Mondes, février 1870, p. 690).
  2. The American Beaver and his Works, 1868.
  3. The Principles of Psychology, 2e édit., 1870, pp. 418-443.