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et le nombre des individus d’une espèce s’élève rapidement à un chiffre prodigieux.

DE LA NATURE DES OBSTACLES À LA MULTIPLICATION.

Les causes qui font obstacle à la tendance naturelle à la multiplication de chaque espèce sont très obscures. Considérons une espèce très vigoureuse ; plus grand est le nombre des individus dont elle se compose, plus ce nombre tend à augmenter. Nous ne pourrions pas même, dans un cas donné, déterminer exactement quels sont les freins qui agissent. Cela n’a rien qui puisse surprendre, quand on réfléchit que notre ignorance sur ce point est absolue, relativement même à l’espèce humaine, quoique l’homme soit bien mieux connu que tout autre animal. Plusieurs auteurs ont discuté ce sujet avec beaucoup de talent ; j’espère moi-même l’étudier longuement dans un futur ouvrage, particulièrement à l’égard des animaux retournés à l’état sauvage dans l’Amérique méridionale. Je me bornerai ici à quelques remarques, pour rappeler certains points principaux à l’esprit du lecteur. Les œufs ou les animaux très jeunes semblent ordinairement souffrir le plus, mais il n’en est pas toujours ainsi ; chez les plantes, il se fait une énorme destruction de graines ; mais, d’après mes observations, il semble que ce sont les semis qui souffrent le plus, parce qu’ils germent dans un terrain déjà encombré par d’autres plantes. Différents ennemis détruisent aussi une grande quantité de plants ; j’ai observé, par exemple, quelques jeunes plants de nos herbes indigènes, semés dans une plate-bande ayant 3 pieds de longueur sur 2 de largeur, bien labourée et bien débarrassée de plantes étrangères, et où, par conséquent, ils ne pouvaient pas souffrir du voisinage de ces plantes : sur trois cent cinquante-sept plants, deux cent quatre-vingt-quinze ont été détruits, principalement par les limaces et par les insectes. Si on laisse pousser du gazon qu’on a fauché pendant très longtemps, ou, ce qui revient au même, que des quadrupèdes ont l’habitude de brouter, les plantes les plus vigoureuses tuent graduellement celles qui le sont le moins, quoique ces dernières aient atteint leur pleine maturité ; ainsi, dans