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  Objections. 543

la nature des gradations si étranges, que nous devons être très circonspects avant d’affirmer qu’un organe, où qu’un instinct, ou même que la conformation entière, ne peuvent pas avoir atteint leur état actuel en parcourant un grand nombre de phases intermédiaires. Il est, il faut le reconnaître, des cas particulièrement difficiles qui semblent contraires à la théorie de la sélection naturelle ; un des plus curieux est, sans contredit, l’existence, dans une même communauté de fourmis, de deux ou trois castes définies d’ouvrières ou de femelles stériles. J’ai cherché à faire comprendre comment on peut arriver à expliquer ce genre de difficultés.

Quant à la stérilité presque générale que présentent les espèces lors d’un premier croisement, stérilité qui contraste d’une manière si frappante avec la fécondité presque universelle des variétés croisées les unes avec les autres, je dois renvoyer le lecteur à la récapitulation, donnée à la fin du neuvième chapitre, des faits qui me paraissent prouver d’une façon concluante que cette stérilité n’est pas plus une propriété spéciale, que ne l’est l’inaptitude que présentent deux arbres distincts à se greffer l’un sur l’autre, mais qu’elle dépend de différences limitées au système reproducteur des espèces qu’on veut entre-croiser. La grande différence entre les résultats que donnent les croisements réciproques de deux mêmes espèces, c’est-à-dire lorsqu’une des espèces est employée d’abord comme père et ensuite comme mère nous prouve le bien fondé de cette conclusion. Nous sommes conduits à la même conclusion par l’examen des plantes dimorphes et trimorphes, dont les formes unies illégitimement ne donnent que peu ou point de graines, et dont la postérité est plus ou moins stérile ; or, ces plantes appartiennent incontestablement à la même espèce, et ne diffèrent les unes des autres que sous le rapport de leurs organes reproducteurs et de leurs fonctions.

Bien qu’un grand nombre de savants aient affirmé que la fécondité des variétés croisées et de leurs descendants métis est universelle, cette assertion ne peut plus être considérée comme absolue après les faits que j’ai cités sur l’autorité de Gärtner et de Kölreuter.

La plupart des variétés sur lesquelles on a expérimenté avaient été produites à l’état de domesticité ; or, comme la domesticité,