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  Moyens de dispersion. 439

prises dans les fientes des petits oiseaux ; ces graines paraissaient intactes, et quelques-unes ont germé. Mais voici un fait plus important. Le jabot des oiseaux ne sécrète pas de suc gastrique et n’exerce aucune action nuisible sur la germination des graines, ainsi que je m’en suis assuré par de nombreux essais. Or, lorsqu’un oiseau a rencontré et absorbé une forte quantité de nourriture, il est reconnu qu’il faut de douze à dix-huit heures pour que tous les grains aient passé dans le gésier. Un oiseau peut, dans cet intervalle, être chassé par la tempête à une distance de 800 kilomètres, et comme les oiseaux de proie recherchent les oiseaux fatigués, le contenu de leur jabot déchiré peut être ainsi dispersé. Certains faucons et certains hiboux avalent leur proie entière, et, après un intervalle de douze à vingt heures, dégorgent de petites pelotes dans lesquelles, ainsi qu’il résulte d’expériences faites aux Zoological Gardens, il y a des graines aptes à germer. Quelques graines d’avoine, de blé, de millet, de chènevis, de chanvre, de trèfle et de betterave ont germé après avoir séjourné de douze à vingt-quatre heures dans l’estomac de divers oiseaux de proie ; deux graines de betterave ont germé après un séjour de soixante-deux heures dans les mêmes conditions. Les poissons d’eau douce avalent les graines de beaucoup de plantes terrestres et aquatiques ; or, les oiseaux qui dévorent souvent les poissons, deviennent ainsi les agents du transport des graines. J’ai introduit une quantité de graines dans l’estomac de poissons morts que je faisais ensuite dévorer par des aigles pêcheurs, des cigognes et des pélicans ; après un intervalle de plusieurs heures, ces oiseaux dégorgeaient les graines en pelotes, ou les rejetaient dans leurs excréments, et plusieurs germèrent parfaitement ; il y a toutefois des graines qui ne résistent jamais à ce traitement.

Les sauterelles sont quelquefois emportées à de grandes distances des côtes ; j’en ai moi-même capturé une à 595 kilomètres de la côte d’Afrique, et on en a recueilli à des distances plus grandes encore. Le rév. R.-T. Lowe a informé sir C. Lyell qu’en novembre 1844 des essaims de sauterelles ont envahi l’île de Madère. Elles étaient en quantités innombrables, aussi serrées que les flocons dans les grandes tourmentes de neige, et s’étendaient en l’air aussi loin qu’on pouvait voir avec un télescope.