Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/436

Cette page a été validée par deux contributeurs.
418 Succession géologique des êtres organisés.  

nale ont été autrefois en relation plus étroite avec ceux de l’Afrique qu’ils ne le sont actuellement. La distribution des animaux marins fournit des faits analogues.

La théorie de la descendance avec modification explique immédiatement cette grande loi de la succession longtemps continuée, mais non immuable, des mêmes types dans les mêmes régions ; car les habitants de chaque partie du monde tendent évidemment à y laisser, pendant la période suivante, des descendants étroitement alliés, bien que modifiés dans une certaine mesure. Si les habitants d’un continent ont autrefois considérablement différé de ceux d’un autre continent, de même leurs descendants modifiés diffèrent encore à peu près de la même manière et au même degré. Mais, après de très longs intervalles et des changements géographiques importants, à la suite desquels il y a eu de nombreuses migrations réciproques, les formes plus faibles cèdent la place aux formes dominantes, de sorte qu’il ne peut y avoir rien d’immuable dans les lois de la distribution passée ou actuelle des êtres organisés.

On demandera peut-être, en manière de raillerie, si je considère le paresseux, le tatou et le fourmilier comme les descendants dégénérés du mégathérium et des autres monstres gigantesques voisins, qui ont autrefois habité l’Amérique méridionale. Ceci n’est pas un seul instant admissible. Ces énormes animaux sont éteints, et n’ont laissé aucune descendance. Mais on trouve, dans les cavernes du Brésil, un grand nombre d’espèces fossiles qui, par leur taille et par tous leurs autres caractères, se rapprochent des espèces vivant actuellement dans l’Amérique du Sud, et dont quelques-unes peuvent avoir été les ancêtres réels des espèces vivantes. Il ne faut pas oublier que, d’après ma théorie, toutes les espèces d’un même genre descendent d’une espèce unique, de sorte que, si l’on trouve dans une formation géologique six genres ayant chacun huit espèces, et dans la formation géologique suivante six autres genres alliés ou représentatifs ayant chacun le même nombre d’espèces, nous pouvons conclure qu’en général une seule espèce de chacun des anciens genres a laissé des descendants modifiés, constituant les diverses espèces des genres nouveaux ; les sept autres espèces de chacun des anciens genres ont dû s’éteindre sans laisser de postérité.