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390 Succession géologique des êtres organisés.  

exemple frappant d’un fait semblable, c’est un crocodile existant encore qui se trouve parmi des mammifères et des reptiles éteints dans les dépôts sous-himalayens. La lingule silurienne diffère très peu des espèces vivantes de ce genre, tandis que la plupart des autres mollusques siluriens et tous les crustacés ont beaucoup changé. Les habitants de la terre paraissent se modifier plus rapidement que ceux de la mer ; on a observé dernièrement en Suisse un remarquable exemple de ce fait. Il y a lieu de croire que les organismes élevés dans l’échelle se modifient plus rapidement que les organismes inférieurs ; cette règle souffre cependant quelques exceptions. La somme des changements organiques, selon la remarque de Pictet, n’est pas la même dans chaque formation successive. Cependant, si nous comparons deux formations qui ne sont pas très-voisines, nous trouvons que toutes les espèces ont subi quelques modifications. Lorsqu’une espèce a disparu de la surface du globe, nous n’avons aucune raison de croire que la forme identique reparaisse jamais. Le cas qui semblerait le plus faire exception à cette règle est celui des « colonies » de M. Barrande, qui font invasion pendant quelque temps au milieu d’une formation plus ancienne, puis cèdent de nouveau la place à la faune préexistante ; mais Lyell me semble avoir donné une explication satisfaisante de ce fait, en supposant des migrations temporaires provenant de provinces géographiques distinctes.

Ces divers faits s’accordent bien avec ma théorie, qui ne suppose aucune loi fixe de développement, obligeant tous les habitants d’une zone à se modifier brusquement, simultanément, ou à un égal degré. D’après ma théorie, au contraire, la marche des modifications doit être lente, et n’affecter généralement que peu d’espèces à la fois ; en effet, la variabilité de chaque espèce est indépendante de celle de toutes les autres. L’accumulation par la sélection naturelle, à un degré plus ou moins prononcé, des variations ou des différences individuelles qui peuvent surgir, produisant ainsi plus ou moins de modifications permanentes, dépend d’éventualités nombreuses et complexes — telles que la nature avantageuse des variations, la liberté des croisements, les changements lents dans les conditions physiques de la contrée, l’immigration de nouvelles formes et la nature des autres