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380 Insuffisance des documents géologiques.  

canard à ailes courtes, pour finir par s’élever et s’élancer dans les airs ?

Donnons maintenant quelques exemples à l’appui des remarques qui précèdent, et aussi pour prouver combien nous sommes sujets à erreur quand nous supposons que des groupes entiers d’espèces se sont produits soudainement. M. Pictet a dû considérablement modifier ses conclusions relativement à l’apparition et à la disparition subite de plusieurs groupes d’animaux dans le court intervalle qui sépare les deux éditions de son grand ouvrage sur la paléontologie, parues, l’une en 1844-1846, la seconde en 1853-57, et une troisième réclamerait encore d’autres changements. Je puis rappeler le fait bien connu que, dans tous les traités de géologie publiés il n’y a pas bien longtemps, on enseigne que les mammifères ont brusquement apparu au commencement de l’époque tertiaire. Or, actuellement, l’un des dépôts les plus riches en fossiles de mammifères que l’on connaisse appartient au milieu de l’époque secondaire, et l’on a découvert de véritables mammifères dans les couches de nouveau grès rouge, qui remontent presque au commencement de cette grande époque. Cuvier a soutenu souvent que les couches tertiaires ne contiennent aucun singe, mais on a depuis trouvé des espèces éteintes de ces animaux dans l’Inde, dans l’Amérique du Sud et en Europe, jusque dans les couches de l’époque miocène. Sans la conservation accidentelle et fort rare d’empreintes de pas dans le nouveau grès rouge des États-Unis, qui eût osé soupçonner que plus de trente espèces d’animaux ressemblant à des oiseaux, dont quelques-uns de taille gigantesque, ont existé pendant cette période ? On n’a pu découvrir dans ces couches le plus petit fragment d’ossement. Jusque tout récemment, les paléontologistes soutenaient que la classe entière des oiseaux avait apparu brusquement pendant l’époque éocène ; mais le professeur Owen a démontré depuis qu’il existait un oiseau incontestable lors du dépôt du grès vert supérieur. Plus récemment encore on a découvert dans les couches oolithiques de Solenhofen cet oiseau bizarre, l’archéopteryx, dont la queue de lézard allongée porte à chaque articulation une paire de plumes, et dont les ailes sont armées de deux griffes libres. Il y a peu de découvertes récentes qui prouvent aussi éloquemment que