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  Apparition soudaine de groupes. 379

combien le monde est immense, comparé à la surface suffisamment étudiée de nos formations géologiques ; nous ne songeons pas que des groupes d’espèces ont pu exister ailleurs pendant longtemps, et s’être lentement multipliés avant d’envahir les anciens archipels de l’Europe et des États-Unis. Nous ne tenons pas assez compte des énormes intervalles qui ont dû s’écouler entre nos formations successives, intervalles qui, dans bien des cas, ont peut-être été plus longs que les périodes nécessaires à l’accumulation de chacune de ces formations. Ces intervalles ont permis la multiplication d’espèces dérivées d’une ou plusieurs formes parentes, constituant les groupes qui, dans la formation suivante, apparaissent comme s’ils étaient soudainement créés.

Je dois rappeler ici une remarque que nous avons déjà faite ; c’est qu’il doit falloir une longue succession de siècles pour adapter un organisme à des conditions entièrement nouvelles, telles, par exemple, que celle du vol. En conséquence, les formes de transition ont souvent dû rester longtemps circonscrites dans les limites d’une même localité ; mais, dès que cette adaptation a été effectuée, et que quelques espèces ont ainsi acquis un avantage marqué sur d’autres organismes, il ne faut plus qu’un temps relativement court pour produire un grand nombre de formes divergentes, aptes à se répandre rapidement dans le monde entier. Dans une excellente analyse du présent ouvrage, le professeur Pictet, traitant des premières formes de transition et prenant les oiseaux pour exemple, ne voit pas comment les modifications successives des membres antérieurs d’un prototype supposé ont pu offrir aucun avantage. Considérons, toutefois, les pingouins des mers du Sud ; les membres antérieurs de ces oiseaux ne se trouvent-ils pas dans cet état exactement intermédiaire où ils ne sont ni bras ni aile ? Ces oiseaux tiennent cependant victorieusement leur place dans la lutte pour l’existence, puisqu’ils existent en grand nombre et sous diverses formes. Je ne pense pas que ce soient là les vrais états de transition par lesquels la formation des ailes définitives des oiseaux a dû passer ; mais y aurait-il quelque difficulté spéciale à admettre qu’il pourrait devenir avantageux aux descendants modifiés du pingouin d’acquérir, d’abord, la faculté de circuler en battant l’eau de leurs ailes, comme le