Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/383

Cette page a été validée par deux contributeurs.
  Pauvreté des collections. 365

interruption. Rarement un fait m’a frappé autant que l’absence, sur une longueur de plusieurs centaines de milles des côtes de l’Amérique du Sud, qui ont été récemment soulevées de plusieurs centaines de pieds, de tout dépôt récent assez considérable pour représenter même une courte période géologique. Sur toute la côte occidentale, qu’habite une faune marine particulière, les couches tertiaires sont si peu développées, que plusieurs faunes marines successives et toutes spéciales ne laisseront probablement aucune trace de leur existence aux âges géologiques futurs. Un peu de réflexion fera comprendre pourquoi, sur la côte occidentale de l’Amérique du Sud en voie de soulèvement, on ne peut trouver nulle part de formation étendue contenant des débris tertiaires ou récents, bien qu’il ait dû y avoir abondance de matériaux de sédiments, par suite de l’énorme dégradation des rochers des côtes et de la vase apportée par les cours d’eau qui se jettent dans la mer. Il est probable, en effet, que les dépôts sous-marins du littoral sont constamment désagrégés et emportés, à mesure que le soulèvement lent et graduel du sol les expose à l’action des vagues.

Nous pouvons donc conclure que les dépôts de sédiment doivent être accumulés en masses très épaisses, très étendues et très solides, pour pouvoir résister, soit à l’action incessante des vagues, lors des premiers soulèvements du sol, et pendant les oscillations successives du niveau, soit à la désagrégation atmosphérique. Des masses de sédiment aussi épaisses et aussi étendues peuvent se former de deux manières : soit dans les grandes profondeurs de la mer, auquel cas le fond est habité par des formes moins nombreuses et moins variées que les mers peu profondes ; en conséquence, lorsque la masse vient à se soulever, elle ne peut offrir qu’une collection très incomplète des formes organiques qui ont existé dans le voisinage pendant la période de son accumulation. Ou bien, une couche de sédiment de quelque épaisseur et de quelque étendue que ce soit peut se déposer sur un bas-fond en voie de s’affaisser lentement ; dans ce cas, tant que l’affaissement du sol et l’apport des sédiments s’équilibrent à peu près, la mer reste peu profonde et offre un milieu favorable à l’existence d’un grand nombre de formes variées ; de sorte qu’un dépôt riche en fossiles, et assez épais