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356 Insuffisance des documents géologiques.  

eu, dans l’ensemble de son organisation, une grande analogie générale avec le cheval et le tapir ; mais il peut aussi, par différents points de sa conformation, avoir différé considérablement de ces deux types, peut-être même plus qu’ils ne diffèrent actuellement l’un de l’autre. Par conséquent, dans tous les cas de ce genre, il nous serait impossible de reconnaître la forme parente de deux ou plusieurs espèces, même par la comparaison la plus attentive de l’organisation de l’ancêtre avec celle de ses descendants modifiés, si nous n’avions pas en même temps à notre disposition la série à peu près complète des anneaux intermédiaires de la chaîne.

Il est cependant possible, d’après ma théorie, que, de deux formes vivantes, l’une soit descendue de l’autre ; que le cheval, par exemple, soit issu du tapir ; or, dans ce cas, il a dû exister des chaînons directement intermédiaires entre eux. Mais un cas pareil impliquerait la persistance sans modification, pendant une très longue durée, d’une forme dont les descendants auraient subi des changements considérables ; or, un fait de cette nature ne peut être que fort rare, en raison du principe de la concurrence entre tous les organismes ou entre le descendant et ses parents ; car, dans tous les cas, les formes nouvelles perfectionnées tendent à supplanter les formes antérieures demeurées fixes.

Toutes les espèces vivantes, d’après la théorie de la sélection naturelle, se rattachent à la souche mère de chaque genre, par des différences qui ne sont pas plus considérables que celles que nous constatons actuellement entre les variétés naturelles et domestiques d’une même espèce ; chacune de ces souches mères elles-mêmes, maintenant généralement éteintes, se rattachait de la même manière à d’autres espèces plus anciennes ; et, ainsi de suite, en remontant et en convergeant toujours vers le commun ancêtre de chaque grande classe. Le nombre des formes intermédiaires constituant les chaînons de transition entre toutes les espèces vivantes et les espèces perdues a donc dû être infiniment grand ; or, si ma théorie est vraie, elles ont certainement vécu sur la terre.