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284 Instinct.  

taire d’un état sauvage excessif à l’extrême opposé, à l’habitude et à une captivité prolongée.

Les instincts naturels se perdent à l’état domestique. Certaines races de poules, par exemple, ont perdu l’habitude de couver leurs œufs et refusent même de le faire. Nous sommes si familiarisés avec nos animaux domestiques que nous ne voyons pas à quel point leurs facultés mentales se sont modifiées, et cela d’une manière permanente. On ne peut douter que l’affection pour l’homme ne soit devenue instinctive chez le chien. Les loups, les chacals, les renards, et les diverses espèces félines, même apprivoisées, sont toujours enclins à attaquer les poules, les moutons et les porcs ; cette tendance est incurable chez les chiens qui ont été importés très jeunes de pays comme l’Australie et la Terre de Feu, où les sauvages ne possèdent aucune de ces espèces d’animaux domestiques. D’autre part, il est bien rare que nous soyons obligés d’apprendre à nos chiens, même tout jeunes, à ne pas attaquer les moutons, les porcs ou les volailles. Il n’est pas douteux que cela peut quelquefois leur arriver, mais on les corrige, et s’ils continuent, on les détruit ; de telle sorte que l’habitude ainsi qu’une certaine sélection ont concouru à civiliser nos chiens par hérédité. D’autre part, l’habitude a entièrement fait perdre aux petits poulets cette terreur du chien et du chat qui était sans aucun doute primitivement instinctive chez eux ; le capitaine Hutton m’apprend, en effet, que les jeunes poulets de la souche parente, le Gallus bankiva, lors même qu’ils sont couvés dans l’Inde par une poule domestique, sont d’abord d’une sauvagerie extrême. Il en est de même des jeunes faisans élevés en Angleterre par une poule domestique. Ce n’est pas que les poulets aient perdu toute crainte, mais seulement la crainte des chiens et des chats ; car, si la poule donne le signal du danger, ils la quittent aussitôt (les jeunes dindonneaux surtout), et vont chercher un refuge dans les fourrés du voisinage ; circonstance dont le but évident est de permettre à la mère de s’envoler, comme cela se voit chez beaucoup d’oiseaux terrestres sauvages. Cet instinct, conservé par les poulets, est d’ailleurs inutile à l’état domestique, la poule ayant, par défaut d’usage, perdu presque toute aptitude au vol.

Nous pouvons conclure de là que les animaux réduits en domesticité ont perdu certains instincts naturels et en ont acquis