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254 Objections diverses.  

l’œil d’un côté à l’autre de la tête, que M. Mivart considère comme nuisibles, peuvent être attribuées à l’habitude, sans doute avantageuse pour l’individu et pour l’espèce, de regarder en haut avec les deux yeux, tout en restant couché au fond sur le côté. Nous pouvons aussi attribuer aux effets héréditaires de l’usage le fait que, chez plusieurs genres de poissons plats, la bouche est inclinée vers la surface inférieure, avec les os maxillaires plus forts et plus efficaces du côté de la tête dépourvu d’œil que de l’autre côté, dans le but, comme le suppose le docteur Traquair, de saisir plus facilement les aliments sur le sol. D’autre part, le défaut d’usage peut expliquer l’état moins développé de toute la moitié inférieure du corps, comprenant les nageoires latérales ; Yarrell pense même que la réduction de ces nageoires est avantageuse pour le poisson ; « parce qu’elles ont pour agir moins d’espace que les nageoires supérieures ». On peut également attribuer au défaut d’usage la différence dans le nombre de dents existant aux deux mâchoires du carrelet, dans la proportion de quatre à sept sur les moitiés supérieures, et de vingt-cinq à trente sur les moitiés inférieures. L’état incolore du ventre de la plupart des poissons et des autres animaux peut nous faire raisonnablement supposer que, chez les poissons plats, le même défaut de coloration de la surface inférieure, qu’elle soit à droite ou à gauche, est dû à l’absence de la lumière. Mais on ne saurait attribuer à l’action de la lumière les taches singulières qui se trouvent sur le côté supérieur de la sole, taches qui ressemblent au fond sablonneux de la mer, ou la faculté qu’ont quelques espèces, comme l’a démontré récemment Pouchet, de modifier leur couleur pour se mettre en rapport avec la surface ambiante, ou la présence de tubercules osseux sur la surface supérieure du turbot. La sélection naturelle a probablement joué ici un rôle pour adapter à leurs conditions vitales la forme générale du corps et beaucoup d’autres particularités de ces poissons. Comme je l’ai déjà fait remarquer avec tant d’insistance, il faut se rappeler que la sélection naturelle développe les effets héréditaires d’une augmentation d’usage des parties, et peut-être de leur non-usage. Toutes les variations spontanées dans la bonne direction sont, en effet, conservées par elle et tendent à persister, tout comme les individus qui héritent au plus haut degré des