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248 Objections diverses.  

longue de la baleine groënlandaise a dix, douze ou quinze pieds de longueur ; mais il y a chez les différentes espèces de cétacés des gradations de longueur ; la lame médiane a chez l’une, d’après Scoresby, quatre pieds, trois chez deux autres, dix-huit pouces chez une quatrième et environ neuf pouces de longueur chez le Balænoptera rostrata. Les qualités du fanon diffèrent aussi chez les différentes espèces.

M. Mivart fait à ce propos la remarque suivante : « Dès que le fanon a atteint un développement qui le rend utile, la sélection naturelle seule suffirait, sans doute, à assurer sa conservation et son augmentation dans des limites convenables. Mais comment expliquer le commencement d’un développement si utile ? » On peut, comme réponse, se demander : pourquoi les ancêtres primitifs des baleines à fanon n’auraient-ils pas eu une bouche construite dans le genre du bec lamellaire du canard ? Les canards, comme les baleines, se nourrissent en filtrant l’eau et la boue, ce qui a fait donner quelquefois à la famille le nom de Criblatores. J’espère que l’on ne se servira pas de ces remarques pour me faire dire que les ancêtres des baleines étaient réellement pourvus de bouches lamellaires ressemblant au bec du canard. Je veux seulement faire comprendre que la supposition n’a rien d’impossible, et que les vastes fanons de la baleine groënlandaise pourraient provenir du développement de lamelles semblables, grâce à une série de degrés insensibles tous utiles à leurs descendants.

Le bec du souchet (Spatula clypeata) offre une conformation bien plus belle et bien plus complexe que la bouche de la baleine. Dans un spécimen que j’ai examiné la mâchoire supérieure porte de chaque côté une rangée ou un peigne de lamelles minces, élastiques, au nombre de cent quatre-vingt-huit, taillées obliquement en biseau, de façon à se terminer en pointe, et placées transversalement sur l’axe allongé de la bouche. Elles s’élèvent sur le palais et sont rattachées aux côtés de la mâchoire par une membrane flexible. Les plus longues sont celles du milieu ; elles ont environ un tiers de pouce de longueur et dépassent le rebord d’environ 0,14 de pouce. On observe à leur base une courte rangée auxiliaire de lamelles transversales obliques. Sous ces divers rapports, elles ressemblent aux fanons de la bouche de la