Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.
238 Objections diverses.  

nisme et des conditions, elles peuvent se transmettre, et paraissent souvent avoir été transmises à peu près dans le même état à une nombreuse descendance, d’ailleurs autrement modifiée. Il ne peut avoir été très important pour la plupart des mammifères, des oiseaux ou des reptiles, d’être couverts de poils, de plumes ou d’écailles, et cependant les poils ont été transmis à la presque totalité des mammifères, les plumes à tous les oiseaux, et les écailles à tous les vrais reptiles. Une conformation, quelle qu’elle puisse être, commune à de nombreuses formes voisines, a été considérée par nous comme ayant une importance systématique immense, et est, en conséquence, souvent estimée comme ayant une importance vitale essentielle pour l’espèce. Je suis donc disposé à croire que les différences morphologiques que nous regardons comme importantes — telles que l’arrangement des feuilles, les divisions de la fleur ou de l’ovaire, la position des ovules, etc. — ont souvent apparu dans l’origine comme des variations flottantes, devenues tôt ou tard constantes, en raison de la nature de l’organisme et des conditions ambiantes, ainsi que par le croisement d’individus distincts, mais non pas en vertu de la sélection naturelle. L’action de la sélection ne peut, en effet, avoir ni réglé ni accumulé les légères variations des caractères morphologiques qui n’affectent en rien la prospérité de l’espèce. Nous arrivons ainsi à ce singulier résultat, que les caractères ayant la plus grande importance pour le systématiste, n’en ont qu’une très légère, au point de vue vital, pour l’espèce ; mais cette proposition est loin d’être aussi paradoxale qu’elle peut le paraître à première vue, ainsi que nous le verrons plus loin en traitant du principe génétique de la classification.

Bien que nous n’ayons aucune preuve certaine de l’existence d’une tendance innée des êtres organisés vers un développement progressif, ce progrès résulte nécessairement de l’action continue de la sélection naturelle, comme j’ai cherché à le démontrer dans le quatrième chapitre. La meilleure définition qu’on ait jamais donnée de l’élévation à un degré plus élevé des types de l’organisation, repose sur le degré de spécialisation ou de différenciation que les organes ont atteint ; or, cette division du travail paraît être le but vers lequel tend la sélection naturelle, car les parties ou organes sont alors mis à même