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220 Difficultés de la théorie.  

nue), à condition que ce fruit ait une teinte brillante ou qu’il soit très apparent parce qu’il est blanc ou noir.

D’autre part, j’admets volontiers qu’un grand nombre d’animaux mâles, tels que tous nos oiseaux les plus magnifiques, quelques reptiles, quelques mammifères, et une foule de papillons admirablement colorés, ont acquis la beauté pour la beauté elle-même ; mais ce résultat a été obtenu par la sélection sexuelle, c’est-à-dire parce que les femelles ont continuellement choisi les plus beaux mâles ; cet embellissement n’a donc pas eu pour but le plaisir de l’homme. On pourrait faire les mêmes remarques relativement au chant des oiseaux. Nous pouvons conclure de tout ce qui précède qu’une grande partie du règne animal possède à peu près le même goût pour les belles couleurs et pour la musique. Quand la femelle est aussi brillamment colorée que le mâle, ce qui n’est pas rare chez les oiseaux et chez les papillons, cela parait résulter de ce que les couleurs acquises par la sélection sexuelle ont été transmises aux deux sexes au lieu de l’être aux mâles seuls. Comment le sentiment de la beauté, dans sa forme la plus simple, c’est-à-dire la sensation de plaisir particulier qu’inspirent certaines couleurs, certaines formes et certains sons, s’est-il primitivement développé chez l’homme et chez les animaux inférieurs ? C’est là un point fort obscur. On se heurte d’ailleurs aux mêmes difficultés si l’on veut expliquer comment il se fait que certaines saveurs et certains parfums procurent une jouissance, tandis que d’autres inspirent une aversion générale. Dans tous ces cas, l’habitude paraît avoir joué un certain rôle ; mais ces sensations doivent avoir quelques causes fondamentales dans la constitution du système nerveux de chaque espèce.

La sélection naturelle ne peut, en aucune façon, produire des modifications chez une espèce dans le but exclusif d’assurer un avantage à une autre espèce, bien que, dans la nature, une espèce cherche incessamment à tirer avantage ou à profiter de la conformation des autres. Mais la sélection naturelle peut souvent produire — et nous avons de nombreuses preuves qu’elle le fait — des conformations directement préjudiciables à d’autres animaux, telles que les crochets de la vipère et l’ovipositeur de l’ichneumon, qui lui permet de déposer ses œufs dans le corps d’autres insectes vivants. Si l’on parvenait à prouver qu’une partie quelconque de