Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/231

Cette page a été validée par deux contributeurs.
  Organes peu importants. 213

si peu de nouveautés réelles ? Pourquoi toutes les parties, tous les organes de tant d’êtres indépendants, créés, suppose-t-on, séparément pour occuper une place séparée dans la nature, seraient-ils si ordinairement reliés les uns aux autres par une série de gradations ? Pourquoi la nature n’aurait-elle pas passé soudainement d’une conformation à une autre ? La théorie de la sélection naturelle nous fait comprendre clairement pourquoi il n’en est point ainsi ; la sélection naturelle, en effet, n’agit qu’en profitant de légères variations successives, elle ne peut donc jamais faire de sauts brusques et considérables, elle ne peut avancer que par degrés insignifiants, lents et sûrs.

ACTION DE LA SÉLECTION NATURELLE SUR LES ORGANES PEU IMPORTANTS EN APPARENCE.

La sélection naturelle n’agissant que par la vie et par la mort, par la persistance du plus apte et par l’élimination des individus moins perfectionnés, j’ai éprouvé quelquefois de grandes difficultés à m’expliquer l’origine ou la formation de parties peu importantes ; les difficultés sont aussi grandes, dans ce cas, que lorsqu’il s’agit des organes les plus parfaits et les plus complexes, mais elles sont d’une nature différente.

En premier lieu, notre ignorance est trop grande relativement à l’ensemble de l’économie organique d’un être quelconque, pour que nous puissions dire quelles sont les modifications importantes et quelles sont les modifications insignifiantes. Dans un chapitre précédent, j’ai indiqué quelques caractères insignifiants, tels que le duvet des fruits ou la couleur de la chair, la couleur de la peau et des poils des quadrupèdes, sur lesquels, en raison de leur rapport avec des différences constitutionnelles, ou en raison de ce qu’ils déterminent les attaques de certains insectes, la sélection naturelle a certainement pu exercer une action. La queue de la girafe ressemble à un chasse-mouches artificiel ; il paraît donc d’abord incroyable que cet organe ait pu être adapté à son usage actuel par une série de légères modifications qui l’auraient mieux approprié à un but aussi insignifiant que celui de chasser les mouches. Nous devons réfléchir, cependant, avant de rien affirmer de