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120 La sélection naturelle.  

lection continue de chevaux rapides dans un cas et de chevaux vigoureux dans l’autre, les différences ont dû s’accentuer, et on en est arrivé à la formation de deux sous-races. Enfin, après des siècles, ces deux sous-races se sont converties en deux races distinctes et fixes. À mesure que les différences s’accentuaient, les animaux inférieurs ayant des caractères intermédiaires, c’est-à-dire ceux qui n’étaient ni très rapides ni très forts, n’ont jamais dû être employés à la reproduction, et ont dû tendre ainsi à disparaître. Nous voyons donc ici, dans les productions de l’homme, l’action de ce qu’on peut appeler « le principe de la divergence » ; en vertu de ce principe, des différences, à peine appréciables d’abord, augmentent continuellement, et les races tendent à s’écarter chaque jour davantage les unes des autres et de la souche commune.

Mais comment, dira-t-on, un principe analogue peut-il s’appliquer dans la nature ? Je crois qu’il peut s’appliquer et qu’il s’applique de la façon la plus efficace (mais je dois avouer qu’il m’a fallu longtemps pour comprendre comment), en raison de cette simple circonstance que, plus les descendants d’une espèce quelconque deviennent différents sous le rapport de la structure, de la constitution et des habitudes, plus ils sont à même de s’emparer de places nombreuses et très différentes dans l’économie de la nature, et par conséquent d’augmenter en nombre.

Nous pouvons clairement discerner ce fait chez les animaux ayant des habitudes simples. Prenons, par exemple, un quadrupède carnivore et admettons que le nombre de ces animaux a atteint, il y a longtemps, le maximum de ce que peut nourrir un pays quel qu’il soit. Si la tendance naturelle de ce quadrupède à se multiplier continue à agir, et que les conditions actuelles du pays qu’il habite ne subissent aucune modification, il ne peut réussir à s’accroître en nombre qu’à condition que ses descendants variables s’emparent de places à présent occupées par d’autres animaux : les uns, par exemple, en devenant capables de se nourrir de nouvelles espèces de proies mortes ou vivantes ; les autres, en habitant de nouvelles stations, en grimpant aux arbres, en devenant aquatiques ; d’autres enfin, peut-être, en devenant moins carnivores. Plus les descendants de notre animal carnivore se modifient sous le rapport des habitudes et de la structure, plus ils peuvent occuper