Page:Darwin - L’Origine des espèces (1906).djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.
  Divergence des caractères. 119

pèces vraies et distinctes. Néanmoins, je crois que les variétés sont des espèces en voie de formation, ou sont, comme je les ai appelées, des espèces naissantes. Comment donc se fait-il qu’une légère différence entre les variétés s’amplifie au point de devenir la grande différence que nous remarquons entre les espèces ? La plupart des innombrables espèces qui existent dans la nature, et qui présentent des différences bien tranchées, nous prouvent que le fait est ordinaire ; or, les variétés, souche supposée d’espèces futures bien définies, présentent des différences légères et à peine indiquées. Le hasard, pourrions-nous dire, pourrait faire qu’une variété différât, sous quelques rapports, de ses ascendants ; les descendants de cette variété pourraient, à leur tour, différer de leurs ascendants sous les mêmes rapports, mais de façon plus marquée ; cela, toutefois, ne suffirait pas à expliquer les grandes différences qui existent habituellement entre les espèces du même genre.

Comme je le fais toujours, j’ai cherché chez nos productions domestiques l’explication de ce fait. Or, nous remarquons chez elles quelque chose d’analogue. On admettra, sans doute, que la production de races aussi différentes que le sont les bestiaux à courtes cornes et les bestiaux de Hereford, le cheval de course et le cheval de trait, les différentes races de pigeons, etc., n’aurait jamais pu s’effectuer par la seule accumulation, due au hasard, de variations analogues pendant de nombreuses générations successives. En pratique, un amateur remarque, par exemple, un pigeon ayant un bec un peu plus court qu’il n’est usuel ; un autre amateur remarque un pigeon ayant un bec long ; en vertu de cet axiome que les amateurs n’admettent pas un type moyen, mais préfèrent les extrêmes, ils commencent tous deux (et c’est ce qui est arrivé pour les sous-races du pigeon Culbutant) à choisir et à faire reproduire des oiseaux ayant un bec de plus en plus long ou un bec de plus en plus court. Nous pouvons supposer encore que, à une antique période de l’histoire, les habitants d’une nation ou d’un district aient eu besoin de chevaux rapides, tandis que ceux d’un autre district avaient besoin de chevaux plus lourds et plus forts. Les premières différences ont dû certainement être très légères, mais, dans la suite des temps, en conséquence de la sé-