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HÉRÉDITÉ.

de voir le peu d’énergie que possèdent les pigeons Paons en général, pour transmettre leurs qualités à leurs produits lorsqu’on les croise ; cependant la sous-variété soyeuse transmet invariablement ses plumes soyeuses, lorsqu’on la croise avec une autre race de petite taille[1].

La loi de la prépondérance se manifeste dans les croisements d’espèces aussi bien que dans ceux des races et des individus. C’est ce que Gärtner[2] a montré être incontestablement le cas chez les plantes. Pour en citer un exemple, lorsqu’on croise ensemble les Nicotiana paniculata et vincæflora, les caractères de la N. paniculata sont presque complètement perdus chez l’hybride ; mais si on croise la N. quadrivalvis avec la N. vincæflora, celle-ci, si prépondérante dans le cas précédent, cède à son tour, et disparaît sous l’influence de la N. quadrivalvis. Il est assez remarquable que, comme l’a montré Gärtner, la prépondérance de transmission d’une espèce sur une autre, soit tout à fait indépendante de la plus ou moins grande facilité avec laquelle l’une féconde l’autre.

Dans les animaux, le chacal a la prépondérance sur le chien, c’est ce que constate M. Flourens à la suite de plusieurs croisements opérés entre ces animaux ; j’ai observé le même fait sur un métis de chacal et de terrier. D’après les observations de Colin et d’autres, l’âne a incontestablement sur le cheval une prépondérance plus prononcée du côté du mâle que de la femelle ; ainsi le mulet ressemble plus à l’âne que le bardeau[3]. D’après les descriptions de M. Hewitt[4], et les hybrides que j’ai vus de mon côté, le faisan mâle a la prépondérance sur les races gallines domestiques, mais pour ce qui concerne la couleur, ces dernières ont une grande force de transmission, car des hybrides obtenus de cinq poules différemment colorées présentèrent de grandes différences dans le plumage. J’ai eu autrefois l’occasion de voir au Jardin zoologique des hybrides curieux, produits par le croisement du canard Pingouin avec l’oie Égyptienne (Anser Ægyptiacus), et auxquels cette variété domestique avait transmis ce port relevé si particulier qui la caractérise.

  1. Boitard et Corbié, O. C., p. 226.
  2. Bastarderzeugung, p. 256, 290. — Naudin, O. C., t. I. p. 149, donne un cas frappant de prépondérance du Datura stramonium, croisé avec deux autres espèces.
  3. Flourens, Longévité humaine, p. 144, sur les chacals croisés. Pour ce qui concerne la différence du mulet et du bardeau, on l’a généralement attribuée à ce que le père et la mère transmettent différemment leurs caractères. Mais Colin, qui, dans son Traité de Physiologie comparée, t. II, p. 537–539, donne la description la plus complète que je connaisse de ces hybrides réciproques, penche fortement vers la prépondérance de l’âne dans les deux croisements, mais à un degré inégal. C’est aussi la conclusion de Flourens et celle de Bechstein, Naturgeschichte Deutschlands, vol. I, p. 294. La queue du bardeau ressemble plus à celle du cheval que ne le fait la queue du mulet, ce qu’on explique généralement en disant que les mâles des deux espèces transmettent plus fortement cette partie de leur conformation ; cependant j’ai vu au Jardin zoologique un métis complexe, provenant d’une jument croisée par un métis âne-zèbre, et dont la queue ressemblait tout à fait à celle de la mère.
  4. M. Hewitt, qui a élevé un grand nombre de ces hybrides, dit (Poultry Book de Tegetmeier, 1866, p. 165–167) que dans tous la tête était dépourvue de caroncules, crête et lobules auriculaires, et qu’ils ressemblaient, par la forme de la queue et le contour général du corps, au faisan. Ces hybrides ont été produits de plusieurs poules diverses par un faisan mâle ; mais un autre, obtenu d’une faisane par un coq Bantam galonné d’argent, portait une crête rudimentaire et des caroncules.