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HÉRÉDITÉ.

fleurs péloriques. La pélorie ne peut être attribuée au hasard, mais elle doit être due ou à un arrêt de développement ou à un effet de retour ; c’est ce qui me paraît résulter d’une observation faite par Ch. Morren[1], que les familles qui ont des fleurs irrégulières reviennent souvent par ces formes monstrueuses à leur état régulier, tandis qu’on ne voit jamais une fleur régulière acquérir la structure d’une qui ne l’est pas.

Il est certainement des fleurs qui sont, par retour, devenues plus ou moins péloriques. Dans la Corydalis tuberosa, un des deux nectaires est normalement incolore, dépourvu de nectar, moitié plus petit que l’autre, et par conséquent à un état jusqu’à un certain point rudimentaire : le pistil est recourbé vers le nectaire complet, et le capuchon formé par les pétales internes ne peut s’écarter du pistil et des étamines que dans une seule direction, de sorte que lorsqu’une abeille veut sucer le nectaire parfait, son corps vient frotter contre le stigmate et les étamines. Dans plusieurs genres voisins comme le Dielytra, etc., il y a deux nectaires complets, le pistil est droit et le capuchon s’échappe de l’un ou de l’autre côté, suivant que l’abeille se porte sur l’un ou l’autre nectaire. J’ai examiné plusieurs fleurs de Corydalis tuberosa, dans lesquelles les deux nectaires étaient également développés et contenaient du nectar ; il y avait donc là un redéveloppement d’un organe partiellement avorté, accompagné du redressement du pistil, de la possibilité au capuchon de s’échapper de l’un et de l’autre côté ; d’où un retour de la fleur vers cette structure parfaite, si favorable à l’action des insectes, qui caractérise les Dielytra et genres voisins. Ces modifications ne peuvent être attribuées au hasard, ni à une variabilité corrélative, mais bien plutôt à un retour vers un état primordial de l’espèce.

Les fleurs péloriques du Pelargonium ont les cinq pétales semblables sous tous les rapports, et ne renferment pas de nectaire ; elles ressemblent donc aux fleurs symétriques du genre voisin des Géraniums ; mais les étamines alternes étant aussi quelquefois dépourvues d’anthères, et seulement représentées par des filaments rudimentaires, elles sont semblables sous ce rapport aux fleurs symétriques d’un autre genre voisin, celui des Érodiums. Ceci nous porte à supposer que les fleurs péloriques du Pelargonium, ont probablement fait retour à l’état de quelque forme primordiale, l’ancêtre possible des trois genres voisins des Pélargoniums, Géraniums et Érodiums.

Dans la forme pélorique de l’Antirrhinum majus, ses fleurs allongées et tubulaires diffèrent étonnamment de celles du muflier commun ; le calice et le sommet de la corolle consistent en six lobes égaux, comprenant six étamines égales au lieu de quatre inégales. Une des deux étamines supplémentaires est évidemment formée par le développement d’une très-petite papille qu’on peut trouver dans toute fleur de muflier, à la base de la lèvre supérieure, ainsi que j’ai pu l’observer sur dix-neuf plantes. La preuve que cette papille est bien le rudiment de l’étamine, m’a été fournie

  1. Discussion sur quelques Calcéolaires péloriques, cité dans Journal of Horticulture, 24 févr. 1863, p. 52.