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CARACTÈRES LATENTS.

différent, mais qui relie, d’une manière frappante, deux ordres de caractères latents. M. Hewitt[1] possédait une poule Bantam Sebright galonnée or, qui, en devenant vieille, revêtit, à la suite d’une affection des ovaires, des caractères masculins. Dans cette race, les mâles et les femelles, à l’exception de la crête, des caroncules, des ergots et des instincts, se ressemblent complètement ; on devait donc s’attendre à ce que cette poule n’aurait réacquis que les caractères masculins propres à sa race, tandis qu’elle reprit en plus une queue bien recourbée, des plumes en faucille longues d’un pied, des plumes sétiformes sur le cou, — tous ornements qui, selon M. Hewitt, « seraient considérés comme abominables dans cette race. » Le Bantam Sebright doit son origine[2] à un croisement qui fut fait en 1800, entre un Bantam ordinaire et la race Huppée, recroisé par un Bantam à queue de poule, et soumis à une sélection subséquente très-rigoureuse ; il est donc très-probable que l’apparition, chez la vieille poule précitée, des plumes sétiformes et des pennes en faucille dérivaient, soit de l’ancêtre Huppé, soit du Bantam commun. Nous voyons donc que, non-seulement certains caractères masculins, spéciaux aux Bantams Sebright, mais aussi d’autres, appartenant aux premiers ancêtres de la race, éloignés déjà d’une soixantaine d’années, sont restés latents chez cette poule, prêts à se développer, ce qui eut lieu aussitôt que ses ovaires devinrent malades.

Ces divers faits nous obligent à admettre que certains caractères, aptitudes et instincts, peuvent demeurer à l’état latent dans un individu, et même dans une série d’individus, sans qu’il nous soit possible de découvrir aucune trace de leur présence. D’après cette manière de voir, la transmission d’un caractère du grand-père à son petit-fils, avec son omission apparente dans le parent intermédiaire du sexe opposé, devient très-simple. Et lorsqu’on croise des volailles, des pigeons, ou du bétail de couleurs différentes, et que nous voyons leur progéniture changer de coloration avec l’âge ; le Turbit croisé reprendre la fraise caractéristique à sa troisième mue ; les Bantams purs recouvrer partiellement le plumage rouge de

  1. Journal of Horticulture, 1864, p. 38.
  2. Tegetmeier, Poultry Book, 1866, p. 241.