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HYPOTHÈSE PROVISOIRE

ment disséminées, ce qui, vu leur ténuité et la circulation constante des fluides dans le corps, n’offre rien d’improbable. Il doit en être de même pour les gemmules des plantes, car il en est chez lesquelles un petit fragment de feuille peut reproduire le tout. Il se présente ici une difficulté : il semblerait que chez les plantes, et probablement chez les animaux composés, tels que les coraux, les gemmules ne s’étendent pas de bourgeon à bourgeon, mais seulement par les tissus développés de chaque bourgeon séparé. Le fait qu’une souche n’est que rarement affectée par l’insertion d’une greffe d’une variété distincte, nous conduit à cette conclusion. Cette non-diffusion des gemmules est très-manifeste dans le cas des fougères ; car M. Bridgeman[1] a prouvé que lorsqu’on prend des spores (qui sont de la nature des bourgeons) sur la partie monstrueuse d’une fronde, et d’autres sur une partie normale, les spores reproduisent la forme des parties dont elles proviennent. Mais cette non-diffusion des gemmules de bourgeon à bourgeon peut n’être qu’apparente, et dépendre, comme nous le verrons ensuite, de la nature des premières cellules formées dans les bourgeons.

L’affinité élective supposée de chaque cellule pour la cellule particulière qui la précède dans l’ordre du développement est appuyée par plusieurs analogies. Dans tous les cas ordinaires de reproduction sexuelle, les éléments mâles et femelles ont une affinité mutuelle les uns pour les autres ; ainsi on admet qu’il existe dix mille espèces de Composées, et on ne peut douter que si on venait simultanément ou successivement à placer sur le stigmate d’une espèce le pollen de toutes les autres, elle ne choisît certainement son propre pollen. Cette capacité élective est d’autant plus remarquable qu’elle doit avoir été acquise depuis que les espèces nombreuses de cet immense groupe de plantes ont divergé de leur ancêtre commun. Quelque opinion qu’on ait sur la nature de la reproduction sexuelle, le protoplasma contenu dans les ovules et les cellules spermatiques (ou la force spermatique de celles-ci, si on préfère ce terme plus vague) doit agir sur l’autre en vertu de quelque loi d’affinité spéciale, ou pendant, ou après la fécondation, de

  1. Ann. and Mag. of Nat. Hist., 3e  série, t. VIII, 1861, p. 490.