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LOIS DE LA VARIATION.

tion qu’ils ont actuellement atteint, mais nous voyons si constamment, dans les espèces d’un même groupe, les gradations les plus insensibles entre un organe tout à fait rudimentaire et le même parfaitement développé, que nous devons admettre que le passage d’un état à l’autre a dû être extrêmement graduel. Il est douteux qu’un changement aussi brusque que la suppression totale d’un organe ait jamais pu être avantageuse à une espèce à l’état de nature ; car les conditions auxquelles les organismes sont étroitement adaptés, ne changent ordinairement que très-lentement. En supposant même le cas de la disparition subite d’un organe par arrêt de développement chez un individu, l’entre-croisement avec les autres individus de la même espèce, en déterminerait la réapparition plus ou moins complète, de sorte que sa réduction finale ne pourrait être effectuée que par la marche lente d’un défaut d’usage continu, ou par sélection naturelle. Il est beaucoup plus probable que, par suite de changements dans les habitudes, les organes commencent par servir de moins en moins, puis deviennent finalement inutiles, ou qu’ils sont suppléés, par quelque autre ; alors le défaut d’usage transmis par hérédité aux descendants, à l’époque correspondante de la vie, continue la réduction de l’organe ; mais la plupart d’entre eux étant sans usage aux premières périodes du développement embryonnaire, et ne pouvant être affectés par un défaut d’exercice, seront par conséquent conservés à cette phase de l’évolution et resteront à un état rudimentaire. Il faut ajouter aux effets du défaut d’usage, ceux du principe auquel nous avons déjà fait allusion, de l’économie de croissance, qui doit encore entraîner à une plus forte réduction de toutes les parties superflues. En ce qui concerne la suppression finale et totale ou l’atrophie d’un organe, il est probable qu’un autre principe distinct dont nous discuterons l’action dans le chapitre sur la pangenèse, prend aussi quelque part au résultat.

Toute lutte sévère et incessante pour l’existence étant épargnée aux animaux et aux plantes élevés par l’homme, le principe d’économie n’a pas à entrer en jeu. Cela est tellement vrai, qu’il y a des cas d’organes qui, étant naturellement rudimentaires dans les espèces parentes, se redéveloppent partiellement dans leurs descendants domestiques. Ainsi, comme presque tous les autres ruminants, les vaches ont quatre tétines actives et deux rudimentaires ; mais dans les individus domestiques, ces dernières se développent quelquefois beaucoup et donnent du lait. Les mamelles atrophiées, qui, dans des animaux domestiques mâles, et aussi dans l’homme, se sont, dans quelques cas rares, complétement développées et ont sécrété du lait, offrent peut-être un cas analogue. Les pattes postérieures du chien portent les traces d’un cinquième doigt, qui, dans certaines grandes races, quoique encore rudimentaire, se développe passablement et est pourvu de son ongle. Dans la poule commune, les ergots et la crête sont rudimentaires, mais, dans quelques races, ces organes peuvent se développer, indépendamment de l’âge ou de la maladie des ovaires. L’étalon a des dents canines, la jument n’a que des vestiges des alvéoles, qui, d’après M. G. T. Brown, vétérinaire distingué, contiennent fréquemment de petits nodules osseux irréguliers. Ces nodules peuvent quelque-