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ARRÊTS DE DÉVELOPPEMENT.

particularité s’étend jusqu’au centre, et toutes les fleurs sont affectées de même ; c’est ainsi que se produisent ces grosses boules de fleurs blanches connues sous le nom de boules de neige. Dans les Composées, le doublement des fleurs consiste dans un plus grand développement des corolles des fleurons du centre, qui sont ordinairement stériles à un certain degré ; et on a observé[1] que le doublement marche toujours progressivement de la circonférence au centre, c’est-à-dire en allant des fleurons externes qui contiennent si souvent des organes rudimentaires, à ceux du disque. J’ajouterai encore que chez les Asters, les graines prises sur les fleurons de la circonférence sont celles qui donnent le plus grand nombre de fleurs doubles[2]. Dans ces divers cas, il y a donc une tendance naturelle chez certaines parties à devenir rudimentaires, tendance qui, sous l’influence de la culture, paraît tantôt partir de l’axe de la plante, tantôt se diriger vers lui. Je dois mentionner, comme montrant que les modifications que subissent les espèces naturelles et les variétés artificielles sont régies par les mêmes lois, le fait que, dans une série d’espèces du genre Carthame, aussi appartenant aux Composées, on remarque une tendance à l’avortement de l’aigrette des graines, allant de la circonférence au centre du disque ; ainsi, d’après A. de Jussieu[3], l’avortement n’est que partiel dans le Carthamus creticus, et plus étendu chez le C. lanatus ; car dans cette espèce il n’y a que deux ou trois des graines centrales qui soient pourvues d’une aigrette, les graines voisines étant ou tout à fait nues, ou ne portant que quelques poils ; et enfin dans le C. tinctorius, même les graines centrales sont privées d’aigrette, et l’atrophie est complète.

Lorsque, chez les animaux et plantes domestiques, un organe disparaît en laissant une trace rudimentaire, la perte est en général subite, comme chez les races sans cornes ou sans queue ; et on peut regarder ces cas comme des monstruosités héréditaires. Dans quelques-uns cependant la disparition a été graduelle, et en partie un résultat de sélection, comme pour les crêtes et caroncules rudimentaires de certaines races gallines. Nous avons vu aussi que, chez quelques oiseaux domestiques, le défaut d’usage a légèrement diminué les ailes, et il est probable que la même cause a contribué à la réduction considérable de ces organes qu’on observe sur certains Bombyx, chez lesquels il n’en reste que de faibles rudiments.

Les organes rudimentaires sont si communs chez les espèces à l’état de nature, qu’on en pourrait à peine trouver une qui n’en offre pas d’exemple ; et, ainsi que plusieurs naturalistes l’ont observé, ils sont généralement variables ; car étant inutiles, et non réglés par la sélection naturelle, ils se trouvent par ce fait plus sujets aux effets de retour. Il en est de même pour les parties qui sont devenues rudimentaires sous l’influence de la domestication. Nous ne savons pas quelle marche les organes rudimentaires ont, dans l’état de nature, pu suivre pour arriver au point de réduc-

  1. M. Beaton, Journ. of Hortic., mai 1861, p. 133.
  2. Lecoq, de la Fécondation, 1862, p. 233.
  3. Annales du Muséum, t. VI, p. 319.