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ACCLIMATATION.

sélection naturelle à la formation des deux races, actuellement adaptées à des climats si différents ? Il semble d’abord probable que les nombreux arbres fruitiers qui s’accommodent si bien des étés chauds et des hivers froids de l’Amérique du Nord, et qui réussissent si mal sous notre climat, ont dû s’adapter par habitude ; mais si nous réfléchissons à la multitude des plantes de semis qui se produisent annuellement dans ce pays, et dont aucune ne pourrait réussir si elle ne possédait une constitution appropriée, il est bien possible que la simple habitude n’ait contribué en rien à leur acclimatation. D’autre part, lorsque nous apprenons que les moutons mérinos élevés pendant un nombre peu considérable de générations au Cap de Bonne-Espérance, — et que quelques plantes d’Europe élevées pendant quelques générations seulement dans les régions plus froides de l’Inde, supportent mieux le climat des parties plus chaudes de ce pays, que les moutons ou les semis de graines importés directement d’Angleterre, il faut bien accorder quelque influence à l’habitude. La même conclusion nous paraît ressortir des faits signalés par Naudin[1] à propos des races de melons et des courges, qui, après avoir été longtemps cultivées dans l’Europe septentrionale, sont devenues plus précoces et exigent moins de chaleur pour mûrir leurs fruits que les variétés de la même espèce récemment importées des régions tropicales. L’habitude paraît exercer un effet palpable dans la conversion réciproque et après un petit nombre de générations, des froments, orges et vesces d’hiver et d’été. Le même fait a eu lieu pour les variétés de maïs, qui, transportées des États méridionaux à ceux du nord de l’Amérique, ou en Allemagne, se sont bientôt accoutumées à leur nouveau séjour. Dans le cas de vignes transportées de Madère aux Indes occidentales, qui y réussissent, à ce qu’on dit, mieux que les plantes importées directement de France, nous avons un exemple d’une certaine acclimatation chez l’individu, en dehors de toute production de nouvelles variétés par graines.

L’expérience ordinaire des agriculteurs a de la valeur, et ils recommandent toujours beaucoup de prudence dans les essais d’introduction dans un pays des produits d’un autre.

  1. Cité par Asa Gray dans Americ. Journ. of Science, 2e  série, janv. 1865, p. 106.