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EFFETS DE L’USAGE ET DU DÉFAUT D’USAGE.

phie, quelquefois dans le cours de quelques mois[1]. Le protée porte à la fois des branchies et des poumons, et Schreibers[2] a observé que lorsque l’animal était forcé de vivre dans des eaux profondes, les branchies se développaient au triple de leur grandeur ordinaire, tandis que les poumons s’atrophiaient partiellement. Lorsque, d’autre part, l’animal fut maintenu dans une eau peu profonde, les poumons devinrent plus grands et plus vasculaires, tandis que les branchies disparurent plus ou moins complétement. Des modifications de ce genre n’ont toutefois que peu de valeur pour nous, car nous ne savons pas si elles tendent à être héréditaires.

Il y a tout lieu de croire que, dans bien des cas, la diminution dans l’usage de certains organes a affecté les parties correspondantes dans la progéniture, mais nous n’avons pas de preuves que cela ait pu se faire dans le cours d’une seule génération. Il semblerait plutôt que, comme dans les cas de variabilité générale et non définie, il faille que plusieurs générations aient subi le changement d’habitudes pour que le résultat en soit appréciable. Nos volailles, canards et oies domestiques ont perdu la faculté de vol, non-seulement comme individus, mais comme races ; car nous ne voyons pas un poulet effrayé prendre son vol comme un jeune faisan. J’ai par là été conduit à comparer les os des membres des volailles, canards, pigeons et lapins domestiques, à ceux de leurs formes parentes sauvages ; les résultats de cette comparaison ayant été précédemment exposés en détail, je me bornerai ici à en récapituler les résultats. Chez les pigeons domestiques, la longueur du sternum, la saillie de sa crête, la longueur des omoplates et de la fourchette, la longueur des ailes mesurées du bout d’un radius à l’autre, sont toutes réduites relativement aux mêmes parties chez le pigeon sauvage. Les rémiges et les rectrices sont toutefois plus longues, mais il n’y a pas entre ce fait et l’usage des ailes et de la queue, plus de connexion qu’il n’y en a entre le poil allongé d’un chien et l’exercice qu’a pu prendre ordinairement sa race. Les pattes des pigeons se sont réduites de grosseur, sauf dans les races à bec long. Dans les poules, la crête sternale est moins proéminente, et souvent déformée ou monstrueuse ; les os de l’aile se sont raccourcis relativement à ceux de la forme souche, le Gallus bankiva. Chez les canards, la crête sternale est affectée comme dans les cas précédents ; la fourchette, les coracoïdiens et les omoplates sont plus légers relativement à l’ensemble du squelette ; les os des ailes sont plus courts et plus légers, et ceux des jambes plus longs et plus lourds, tant relativement les uns aux autres qu’au squelette entier, comparés aux mêmes os du canard sauvage. La diminution dans la grosseur et le poids des os est probablement le résultat indirect de la réaction exercée sur eux par les muscles affaiblis qui s’y attachent. Je n’ai pas comparé les rémiges du canard domestique à celles du sauvage, mais Gloger[3] assure que dans le canard sauvage les extrémités des rémiges atteignent presque à l’extrémité de la queue, tandis que dans le domestique c’est à peine si elles arri-

  1. Müller, Physiologie. — Le prof. Reed a donné, dans Phys, and Anat. Researches, p. 10, un récit de l’atrophie des membres de lapins après destruction du nerf.
  2. Cité par Lecoq, Géog, bot., t. I, 1854, p. 182.
  3. Das Abändern der Vögel, 1833, p. 74.