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CAUSES

monstrueux par avortement, il en reste ordinairement un rudiment qui indique également que son développement avait déjà commencé.

Les insectes ont quelquefois les pattes ou les antennes dans un état monstrueux, quoique les larves dont ils proviennent ne soient pourvues d’aucun de ces organes ; ces cas, d’après Quatrefages[1], nous permettent d’apprécier le moment précis auquel la marche normale du développement a été troublée. Le genre de nourriture donné à une chenille modifiant quelquefois les couleurs du papillon, sans que la chenille ait elle-même été affectée, il paraît possible que d’autres caractères de l’insecte parfait puissent être indirectement modifiés par la larve. Il n’y a pas de raisons pour supposer que des organes devenus monstrueux aient toujours dû être influencés pendant leur développement : la cause peut avoir agi sur l’organisation à une époque plus antérieure. Il est même probable que les éléments sexuels mâles ou femelles, ou tous deux, peuvent, avant leur réunion, avoir été affectés de manière à déterminer des modifications dans des organes qui ne se développent qu’à une période avancée de la vie, à peu près comme un enfant peut hériter de son père d’une maladie qui ne se déclare que dans la vieillesse.

Les faits précités, montrant que, dans un grand nombre de cas, il existe entre la variabilité et la stérilité qui résulte du changement des conditions une relation étroite, nous autorisent à conclure que la cause déterminante agit souvent dès le tout premier commencement, c’est-à-dire sur les éléments sexuels avant la fécondation. Nous pouvons également inférer des variations de bourgeons qu’une affection de l’élément sexuel féminin peut déterminer la variabilité, car le bourgeon est analogue à un ovule. Mais c’est l’élément mâle qui paraît être affecté par un changement de conditions, du moins d’une manière visible, plus souvent que l’élément femelle ou l’ovule ; et nous savons, par les assertions de Gärtner et de Wichura, qu’un hybride employé comme père, croisé avec une espèce pure, donne des produits plus variables que ne le fait le même hybride utilisé comme mère. Enfin il est acquis que la variabilité peut être transmise par les deux éléments sexuels, car Kölreuter et Gärtner[2] ont trouvé que, lorsqu’on croise deux espèces, il suffit que l’une d’elles soit variable pour que leur produit le soit aussi.


Résumé. — Nous pouvons conclure des faits donnés dans ce chapitre que la variabilité des êtres organisés soumis à la domestication, quoique si générale, n’est pas une conséquence nécessaire de la croissance et de la reproduction, mais résulte des conditions auxquelles les parents ont été exposés. De très-légers changements dans ces conditions d’existence peuvent, quels qu’ils soient, suffire pour déterminer la variabilité. L’excès de nourriture est peut-être la cause excitante la plus efficace.

  1. Métamorphoses de l’homme, etc., 1862, p. 129.
  2. Dritte Fortsetzung, etc., p. 123. — Bastarderzeugung, p. 249.