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CAUSES

La dissemblance entre frères et sœurs d’une même famille et entre plantes levées de la graine d’une même capsule peut en partie s’expliquer par l’inégale fusion des caractères des deux parents, et par un retour plus ou moins complet à des caractères appartenant aux ancêtres des deux côtés ; mais ceci ne fait que reculer la difficulté dans le temps, car qu’est-ce qui a rendu les parents ou les ancêtres différents ? De là la probabilité de l’opinion que, en dehors des conditions extérieures, il existe une tendance innée à la variation[1]. Mais même les graines nourries dans une même capsule ne sont pas dans des conditions complétement uniformes, parce qu’elles tirent leur nourriture de points divers, et nous verrons par la suite que cette différence suffit souvent pour affecter sérieusement les caractères de la plante future. La ressemblance moins grande des enfants successifs d’une même famille, comparés aux jumeaux, qui souvent se ressemblent à un point si extraordinaire par l’apparence extérieure, les dispositions mentales et la constitution, semble prouver que l’état des parents au moment même de la conception, ou la nature du développement embryonnaire subséquent, exercent une influence directe et puissante sur les caractères du produit. Néanmoins, lorsque nous réfléchissons aux différences individuelles qui existent entre les êtres organisés à l’état de nature, comme le montre le fait que chaque animal sauvage reconnaît sa femelle ; ainsi qu’à la diversité infinie de nos nombreuses variétés domestiques, nous pouvons être tentés, quoi-

  1. Müller, Physiologie, vol. II, p. 763. — Quant à la ressemblance des jumeaux par la constitution, voici un cas curieux rapporté dans la Clinique médicale de Trousseau, t. I, p. 253 : « J’ai donné mes soins à deux frères jumeaux, tous deux si extraordinairement ressemblants qu’il m’était impossible de les reconnaître, à moins de les voir l’un à côté de l’autre. Cette ressemblance physique s’étendait plus loin : ils avaient, permettez-moi l’expression, une similitude pathologique plus remarquable encore. Ainsi, l’un d’eux, que je voyais aux néo-thermes à Paris, malade d’une ophthalmie rhumatismale, me disait : « En ce moment mon frère doit avoir une ophthalmie comme la mienne. » Et, comme je m’étais récrié, il me montrait quelques jours après une lettre qu’il venait de recevoir de ce frère, alors à Vienne, et qui lui écrivait en effet : « J’ai mon ophthalmie, tu dois avoir la tienne. » Quelque singulier que ceci puisse paraître, le fait n’en est pas moins exact ; on ne me l’a pas raconté, je l’ai vu, et j’en ai vu d’autres analogues dans ma pratique. Ces deux jumeaux étaient aussi tous deux asthmatiques, et asthmatiques à un effroyable degré. Originaires de Marseille, ils n’ont jamais pu demeurer dans cette ville, où leurs intérêts les appelaient souvent, sans être pris de leur accès ; jamais ils n’en éprouvaient à Paris. Bien mieux, il leur suffisait de gagner Toulon pour être guéris de leurs attaques de Marseille. Voyageant sans cesse, et dans tous pays, pour leurs affaires, ils avaient remarqué que certaines localités leur étaient funestes, et que dans d’autres ils étaient exempts de tout phénomène d’oppression. »