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SÉLECTION.

et attentive, pour donner naissance à des races distinctes. Nous voyons ce que peut faire la sélection appliquée à de simples différences individuelles, dans les cas de famille de bêtes bovines, de moutons, de pigeons, etc., appartenant à la même race, ayant été élevées pendant un certain nombre d’années par des éleveurs différents sans aucune intention de leur part de modifier la race. Le même fait se remarque dans les différences qu’on peut constater entre les chiens courants qu’on élève pour la chasse dans des districts différents, et dans beaucoup d’autres cas semblables[1].

Pour que la sélection donne un résultat, il est évident qu’il faut éviter le croisement de races distinctes ; donc toute facilité dans l’appariage, comme cela a lieu pour le pigeon, est favorable à son application ; et toute difficulté, comme chez le chat, est un empêchement à la formation de races distinctes. C’est d’après ce principe qu’on a pu, sur le territoire borné de l’île de Jersey, améliorer la faculté laitière du bétail de cette race avec une rapidité impossible à obtenir dans un pays aussi étendu que la France, par exemple[2]. Si le libre entre-croisement est d’une part un danger manifeste, la reproduction consanguine trop intime est, d’autre part, un danger caché. Des conditions extérieures défavorables dominent la puissance de la sélection ; et on ne fût jamais parvenu à former nos lourdes races améliorées de bétail et de moutons dans les pâturages de montagnes, ni nos gros chevaux de trait dans des îles arides et inhospitalières, comme les Falklands, où même les légers chevaux de La Plata diminuent rapidement de taille. Jamais on n’aurait pu allonger sous les tropiques la laine du mouton, bien qu’on ait, par sélection, pu conserver presque complétement dans des conditions très-diverses et même défavorables le mouton mérinos. Le pouvoir de la sélection est si grand, que chez des races de chiens, de moutons et de volailles de toutes tailles, de pigeons à bec court et à bec long, ainsi que chez d’autres races, ayant les caractères les plus opposés, on a pu maintenir et même augmenter leurs caractères spéciaux, tout en les conservant sous le même climat et leur donnant la même nourriture. La sélection peut être favorisée ou contrariée

  1. Encyclop. of Rural Sports, p. 405.
  2. Col. Le Couteur, Journ. Roy. Agricult. Soc., vol. IV, p. 43.