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SÉLECTION.

On peut appliquer aux organes séparés le même raisonnement qu’à l’organisme entier. Un auteur[1] a récemment soutenu que « il n’y a rien d’exagéré à supposer que, pour perfectionner un organe comme l’œil, il faille l’améliorer d’emblée dans dix sens différents ; et l’improbabilité qu’un organe complexe puisse être produit et amené à la perfection de cette manière est du même genre que celle qu’on aurait de produire un poëme ou une démonstration mathématique en jetant au hasard des lettres sur une table. » Si l’œil était modifié brusquement et fortement, il faudrait sans doute qu’un grand nombre de ses parties fussent simultanément changées, pour que l’organe pût demeurer utile.

Mais est-ce le cas pour les changements plus petits ? Il y a des gens qui ne voient distinctement que dans une lumière affaiblie, circonstance qui dépend d’une sensibilité anormale de la rétine, et est héréditaire. Si maintenant un oiseau dut, par exemple, tirer quelque avantage de bien voir au crépuscule, tous les individus doués d’une grande sensibilité de la rétine, jouissant de cet avantage, auraient le plus de chances de survivre, et il pourrait en être de même de ceux qui auraient l’œil plus grand, ou la pupille plus dilatable, sans que ces modifications dussent nécessairement être simultanées. Des croisements ultérieurs entre ces individus donneraient des produits doués des avantages respectifs de leurs ascendants. De légers changements successifs de cette nature amèneraient peu à peu l’œil de l’oiseau diurne à ressembler à celui du hibou, qu’on a fréquemment invoqué comme un excellent exemple d’adaptation. La myopie, qui est souvent héréditaire, permet à celui qui en est affecté de voir distinctement un petit objet à une distance assez rapprochée pour être indistinct pour un œil ordinaire ; il y a donc là une apparition soudaine d’une aptitude qui, dans certaines conditions, peut être avantageuse. Les Fuégiens, à bord du Beagle, pouvaient voir des objets éloignés beaucoup plus distinctement que nos matelots, malgré toute leur longue pratique ; j’ignore si cette aptitude dépend d’une

  1. M. J. J. Murphy, dans son adresse d’ouverture à la Soc. d’Hist. naturelle de Belfast, 19 Nov. 1866, suit la série des arguments contre mes idées, déjà donnés précédemment avec plus de circonspection par le Rév. C. Pritchard, président de la Société royale d’Astronomie, dans son sermon prêché devant la British Association à Nottingham en 1866.