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HÉRÉDITÉ.

taires des pieds, qui étaient attachés par l’os ; mais le tronçon de l’un d’eux avait repoussé et avait été amputé à sa trente-troisième année. Il a eu quatorze enfants, dont trois ont hérité de doigts additionnels, et dont l’un avait été opéré par un habile chirurgien, à l’âge de six semaines. Le doigt supplémentaire, qui était fixé par l’os au côté externe de la main, fut enlevé à l’articulation ; la blessure se ferma, mais le doigt commença immédiatement à repousser, et au bout de trois mois, on dut une seconde fois enlever le tronçon par sa racine. Il a repoussé depuis, et a actuellement un tiers de pouce de long, renferme un os, et devra être opéré encore une troisième fois. L’auteur a depuis eu connaissance d’un autre cas de recroissance d’un doigt surnuméraire.

Les doigts normaux de l’homme adulte, des mammifères, des oiseaux, et des vrais reptiles, n’ont nullement la propriété de repousser. Ce qui paraîtrait s’en rapprocher le plus, serait la réapparition occasionnelle d’ongles imparfaits, sur les tronçons des doigts qui ont subi une amputation[1]. Mais, à l’état embryonnaire, la puissance de régénération est considérable, car Sir J. Simpson[2] a plusieurs fois observé des bras qui avaient été coupés dans l’utérus, par des bandes de fausses membranes, et qui avaient repoussé jusqu’à un certain point. Dans un cas, l’extrémité du bras était divisée en trois petits mamelons, sur deux desquels on pouvait reconnaître de petits ongles, montrant que ces mamelons représentaient des doigts en voie de croissance. Si nous descendons dans les classes inférieures des vertébrés, qu’on considère en général comme représentant les classes plus élevées dans leur état embryonnaire, nous trouvons alors une grande puissance de régénération. Spallanzani[3] a coupé les pattes et la queue d’une salamandre six fois, et Bonnet jusqu’à huit fois de suite, et ces parties se sont reproduites. Un doigt supplémentaire a été quelquefois régénéré, après que Bonnet eut enlevé ou divisé longitudinalement une patte, et dans un cas, trois doigts supplémentaires furent ainsi formés[4]. À première vue, ces cas paraissent tout à fait distincts de la production congénitale de doigts supplémentaires chez les animaux supérieurs, mais théoriquement, ainsi que nous le verrons plus tard, il n’y a pas là de différence réelle. Les têtards ou larves des Batraciens anoures, mais non les adultes[5], peuvent reproduire leurs membres perdus[6]. Enfin, comme me l’apprennent MM. J. Briggs et F. Buckland, des portions de nageoires pectorales et caudales, enlevées à divers poissons d’eau douce, se reproduisent complètement au bout de six semaines.

  1. Müller, Physiologie, vol. I, 1845, p. 312. — On a montré à Hull en 1853, devant l’Association britannique, une grive qui avait perdu son tarse, lequel s’était reproduit trois fois ; il avait probablement été perdu chaque fois par maladie.
  2. Monthtly Journal of Medical Science, Edinburgh, 1848 ; vol. II, p. 890.
  3. Essai sur la reproduction animale, 1769, p. 79. (Trad. par le Dr Maty.)
  4. Bonnet, Œuvres d’Hist. nat., t. v, part. I, édit, in-4, 1781, p. 343, 350, 353.
  5. Il en est de même chez les insectes ; les larves peuvent régénérer les membres perdus, ce qu’à l’exception d’un seul ordre, les insectes parfaits ne peuvent pas faire. Mais les Myriapodes, qui représentent les larves des vrais insectes, ont, d’après Newport, cette faculté jusqu’à leur dernière mue. Voir une bonne discussion sur ce sujet dans Carpenter, Principles of Comp. Physiology, 1854, p. 479.
  6. Dr Günther, dans Owen, Anatomy of Vertebrates, vol. I, 1866, p. 567. — Spallanzan a fait des observations analogues.