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STÉRILITÉ CAUSÉE PAR LE DÉVELOPPEMENT

quoique rarement, déterminer les fleurs doubles ; j’ai autrefois décrit[1] quelques fleurs complétement doubles, produites en grand nombre sur des plantes sauvages et rabougries de Gentiana amarella, croissant sur un sol maigre et calcaire. J’ai constaté une tendance prononcée à la production de fleurs doubles chez un Ranunculus repens, Æsculus pavia, et un Staphylea, croissant dans des conditions très-défavorables. Le professeur Lehman[2] a trouvé plusieurs plantes sauvages, croissant près d’une source chaude, et dont les fleurs étaient doubles. Quant à la cause de cette modification qui, comme nous le voyons, se manifeste dans des circonstances bien différentes, je croirais que l’explication la plus probable en est que les conditions artificielles déterminent d’abord une tendance à la stérilité, et qu’ensuite, en vertu du principe de compensation, les organes reproducteurs n’accomplissant pas leurs fonctions propres, se développent en pétales, ou qu’il se forme des pétales additionnels. Cette idée a été récemment soutenue par M. Laxton[3], à propos d’un cas qu’il avait observé sur le pois commun, qui, après une longue période de fortes pluies, avait fleuri une seconde fois, en donnant des fleurs doubles.

Fruits sans graines. — Un grand nombre de nos fruits les plus estimés, bien que formés d’organes très-différents, au point de vue homologique, sont ou tout à fait stériles, ou ne donnent que fort peu de graines. C’est ce qui arrive à nos meilleures poires, raisins, figues, ananas, bananes, au fruit de l’arbre à pain, à la grenade, l’azerole, la datte et quelques membres de la famille des oranges. Les variétés inférieures de ces mêmes fruits donnent habituellement ou occasionnellement des graines[4]. La plupart des horticulteurs considèrent la grosseur et le développement anormal du fruit comme la cause, et la stérilité comme le résultat ; mais, comme nous allons le voir, c’est l’opinion contraire qui est la plus probable.

Stérilité par suite du développement excessif des organes de la végétation. — Les plantes qui, pour une cause quelconque, croissent d’une manière trop luxuriante et produisent en excès des feuilles, tiges, coulants, rejetons, tubercules, bulbes, etc., souvent ne fleurissent pas, ou ne donnent que des fleurs sans graines. Pour que les légumes européens produisent de la graine, sous le climat chaud de l’Inde, il faut modérer leur croissance, et lorsqu’ils sont parvenus au tiers de leur hauteur, on les relève et on coupe leurs tiges et leurs pivots[5]. Il en est de même pour les hybrides ; ainsi le professeur Lecoq[6], ayant trois plantes de

  1. Gardener’s Chronicle, 1843, p. 628, article où j’ai formulé la théorie sur les fleurs doubles qui suit.
  2. Cité par Gärtner, O. C., p. 567.
  3. Gardener’s Chronicle, 1866, p. 901.
  4. Lindley, Theory of Horticulture, p. 175–179. — Godron, de l’Espèce, t. I, p. 106. — Pickering, Races of Man ; — Gallesio, Teoria, etc., 1816, p. 101–110. — Meyen, Reise um Erde, t. II, p. 214, dit qu’à Manille une variété de la Banane donne beaucoup de graines, et Chamisso, Hooker’s Bot. Miscell., vol. I, p. 310, décrit une variété de fruit de l’arbre à pain des îles Mariannes, qui est petit et renferme des graines qui sont souvent parfaites. Burnes, dans son voyage à Bokhara, signale comme une particularité remarquable que le Grenadier donne des graines à Mazenderan.
  5. Ingledew, Trans. of Agric. and Hort. Soc. of India, vol. II.
  6. De la Fécondation, 1862, p. 308.