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INCONVÉNIENTS

Le troupeau de Bates était considéré comme le plus remarquable au monde. Pendant treize ans, il se livra aux appariages consanguins les plus rapprochés, mais pendant les dix-sept années suivantes, quoique ayant la plus haute idée de sa souche, il introduisit, à trois reprises différentes, du sang nouveau dans son troupeau, non pas, dit-il, pour améliorer la forme de ses bêtes, mais à cause de leur fertilité amoindrie. D’après un éleveur célèbre[1], l’opinion personnelle de M. Bates était que « les croisements consanguins faits avec une mauvaise souche étaient ruine et dévastation, mais qu’on pouvait les pratiquer avec sûreté, dans certaines limites, lorsque les individus de parenté rapprochée provenaient d’animaux de premier ordre. » Nous voyons donc que les unions consanguines ont été poussées fort loin chez les Courtes-cornes ; mais Nathusius, après un examen très-minutieux de leur généalogie, dit n’avoir trouvé aucun cas d’un éleveur qui ait suivi cette marche pendant toute sa vie. D’après ses études et son expérience, il conclut à la nécessité des unions consanguines pour anoblir la souche, mais qu’il faut apporter à leur emploi de très-grandes précautions par suite de la tendance à l’infécondité et à l’affaiblissement qui peut en résulter. J’ajouterai qu’une autre autorité[2] a constaté que les Courtes-cornes donnent beaucoup plus de veaux estropiés qu’aucune autre race de bétail.

Quoique par une sélection bien entendue des meilleurs animaux (comme cela arrive dans l’état de nature par la loi de la lutte), on puisse pousser assez loin les unions consanguines chez le gros bétail, les effets avantageux d’un croisement entre deux races quelconques se manifestent de suite par un accroissement dans la taille et la vigueur des produits ; et, comme me l’apprend M. Spooner, le croisement de races distinctes améliore certainement les individus destinés à la boucherie. Ces animaux croisés n’ont, cela va sans dire, aucune utilité pour l’éleveur, mais pendant longtemps on en a produit dans diverses parties de l’Angleterre, pour le couteau[3], et leur mérite est actuellement si bien reconnu, qu’aux expositions de bétail gras, on a établi, pour les recevoir, une classe séparée. Le plus beau bœuf gras de la grande exposition d’Islington en 1862, était un animal croisé.

Culley et d’autres ont invoqué le bétail à demi sauvage, conservé depuis probablement quatre ou cinq cents ans dans les parcs d’Angleterre, comme un exemple d’une reproduction consanguine longtemps prolongée dans un même troupeau, sans qu’il paraisse en être résulté d’inconvénients. Quant au bétail du parc de Chillingham, feu lord Tankerville a reconnu qu’ils étaient mauvais reproducteurs[4]. Dans une lettre que M. Hardy, le surveillant, m’a adressée en Mai 1861, il estime que, sur un troupeau de cinquante têtes, le chiffre moyen des animaux annuellement abattus, tués en se battant, ou morts, est d’environ de dix, soit un sur cinq. Le troupeau se maintenant toujours à peu près au même chiffre, le taux d’accroissement

  1. M. Willoughby Wood, Gardener’s Chronicle, 1855, p. 411, et 1860, p. 270. — Voir les généalogies et tables données par Nathusius, Rindvieh, p. 72–77.
  2. M. Wright, Journ. of Roy. Agric. Soc., vol. VII, 1846, p. 204.
  3. Youatt, Cattle, p. 202.
  4. Report British Assoc. Zoolog. Sect., 1838.