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CAUSES QUI ENTRAVENT

semblerait d’abord assez significatif, mais d’autre part, M. Wilkinson[1], constate qu’une race dérivée du même croisement, avait été installée dans une autre partie de l’Angleterre, où on eût certainement remarqué et signalé son infécondité, si elle se fût trouvée dans ce cas. On pourrait d’ailleurs, si Youatt avait donné la preuve du cas qu’il cite, dire que la stérilité pouvait être entièrement due à la provenance des deux races mères, d’espèces primitives distinctes.

Un cas emprunté au règne végétal, nous montre combien il est difficile d’obtenir des preuves satisfaisantes de faits de ce genre. M. Sheriff qui a si bien réussi à créer quelques nouvelles races de froment, a fécondé la race « Hopetoun » par la « Talavera ; » les deux premières générations donnèrent des produits de caractères intermédiaires, mais la quatrième donna diverses variétés ; les neuf dixièmes des fleurons furent stériles, et un grand nombre de grains ridés et avortés, sans vitalité, de sorte que la race marchait à son extinction[2]. Or, ces variétés de froment ne différant entre elles que fort peu, et par des caractères insignifiants, il me paraît peu probable que la stérilité des produits de leur croisement puisse lui être attribuée, comme le pensait M. Sheriff ; il doit tenir à une tout autre cause. Pour qu’on pût se fier à de pareilles expériences, il faudrait qu’elles eussent été souvent répétées ; or, il est rare qu’elles aient été même une fois essayées avec les soins nécessaires.

Gärtner a consigné un cas remarquable et plus digne de confiance : il féconda treize (et ultérieurement neuf autres) panicules d’un maïs nain à grains jaunes[3], par du pollen d’un maïs très-grand à grains rouges ; une seule tête produisit de bonnes graines et au nombre de cinq seulement. Ces plantes étant monoïques et n’exigeant par conséquent pas la castration, j’aurais cependant soupçonné quelque accident dans la manipulation, si Gärtner n’avait pas expressément constaté qu’il avait élevé ces deux variétés ensemble pendant plusieurs années sans qu’elles se fussent croisées spontanément. Ces plantes étant monoïques, leur pollen abondant, et se croisant généralement librement, le fait ne paraît explicable qu’en admettant que ces deux variétés devaient jusqu’à un certain point être réciproquement infécondes. Les plantes hybrides, levées des cinq graines précitées, furent intermédiaires par leur conformation, très-variables et complément fertiles[4]. Personne, que je sache, n’a supposé que ces deux variétés de maïs fussent des espèces distinctes, ce qu’aurait immédiatement conclu Gärtner, si les hybrides avaient été le moins du monde stériles. Je ferai remarquer que pour les espèces incontestables, il n’y a pas nécessairement de relation étroite entre la stérilité d’un premier croisement, et celle des produits hybrides. Quelques espèces peuvent se croiser avec facilité et produire des hybrides entièrement stériles, et d’autres qui ne se croisent qu’avec beaucoup de peine, peuvent donner des produits

  1. J. Wilkinson, Remarks adressed to Sir J. Sebright, 1820, p. 38.
  2. Gardener’s Chronicle, 1858. p. 771.
  3. Bastarderzeugung, p. 87, 169.
  4. Ibid., p. 87, 577.