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LE LIBRE CROISEMENT DES VARIÉTÉS.

M. Wicking, qui a élevé un plus grand nombre de races variées que qui que ce soit en Angleterre, s’il croyait que les pigeons préférassent s’apparier avec leurs semblables, en supposant qu’il y eût assez de mâles et de femelles de chaque sorte, et il m’a répondu qu’il était convaincu qu’il en était ainsi. On a souvent remarqué que le pigeon de colombier paraît avoir de l’aversion pour les races de fantaisie[1], et cependant les uns et les autres descendent d’un ancêtre commun. Le Rév. W. D. Fox m’informe que ses troupeaux d’oies chinoises blanches et communes, se maintiennent séparés.

Ces divers faits et ces attestations, dont quelques-unes n’étant que l’opinion d’observateurs expérimentés ne peuvent être prouvées, montrent que, par suite de certaines habitudes différentes de la vie, quelques races domestiques tendent jusqu’à un certain point à rester distinctes, que d’autres préfèrent s’apparier avec leur propre type ; qu’elles se comportent donc, à peu près, quoique à un degré moindre, de la même manière que le font les espèces à l’état de nature.


Je ne connais aucun cas bien constaté de stérilité dans des croisements de races domestiques animales, et vu les grandes différences de conformation qui existent entre quelques races de pigeons, de volailles, de porcs, chiens, etc., ce fait est assez extraordinaire et contraste avec la stérilité qui est si fréquente chez les espèces naturelles même voisines, lorsqu’on les croise. Nous montrerons plus tard cependant, que le fait est moins étrange qu’il ne le paraît d’abord. Nous devons rappeler ici que l’étendue des différences extérieures qui peuvent exister entre deux espèces ne nous permet pas de préjuger d’avance si elles pourront ou non reproduire ensemble, — car quelques espèces extrêmement voisines croisées, peuvent se montrer complètement stériles, tandis que d’autres très-dissemblables entre elles, peuvent encore présenter une certaine fécondité. J’ai dit plus haut que nous n’avions pas de démonstration satisfaisante de la stérilité chez les races croisées ; en voici cependant un cas qui me paraît digne de foi, étant donné par une autorité incontestable : Youatt[2] assure qu’on a autrefois, dans le Lancashire, opéré de fréquents croisements entre du bétail à longues cornes et à courtes cornes ; le premier croisement fut excellent, mais ses produits incertains ; à la troisième ou quatrième génération, les vaches furent mauvaises laitières, de plus, la conception était devenue fort incertaine, et un bon tiers des vaches ne vêlèrent pas. Ceci

  1. Rev. E. S. Dixon, The Dovecote, p. 155. — Bechstein, Naturg. Deutschlands, vol. IV, 1795, p. 17.
  2. Cattle, p. 202.