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CARACTÈRES QUI NE SE FUSIONNENT PAS.

nelle, le L. odoratus. Le cas suivant, quoique un peu différent, est cependant analogue : Naudin[1] ayant levé de nombreux hybrides entre le Linaria vulgaris jaune, et le L. purpurea pourpre, les couleurs demeurèrent distinctes dans différentes parties de la même fleur pendant trois générations. Des cas comme ceux que nous venons de signaler, dans lesquels les produits de première génération ressemblent complétement à l’un ou à l’autre des parents, nous passons insensiblement à ceux dans lesquels des fleurs diversement colorées, portées sur une même racine, ressemblent aux deux parents, puis à ceux où une même fleur ou fruit se trouve tachetée ou rayée des deux couleurs parentes, ou porte une seule raie de la couleur, ou toute autre particularité caractéristique d’une de ses formes ascendantes. Chez les hybrides, il arrive souvent et même assez généralement, qu’ils ressemblent à l’un de leurs ascendants par une partie de leur corps, et au second sur un autre point ; il semble donc que, là encore, il y ait quelque résistance au mélange ou à la fusion des caractères, ou ce qui revient au même, intervention de quelque affinité mutuelle entre les atomes organiques similaires ; car autrement toutes les parties du corps devraient être intermédiaires par leurs caractères. De même aussi, lorsque les descendants d’hybrides qui sont eux-mêmes presque intermédiaires par leurs caractères, font retour complétement ou par segments à leurs ancêtres, ce doit être en vertu d’un principe de l’affinité des atomes similaires et de la répulsion des atomes dissimilaires. Nous aurons, dans notre chapitre sur la pangenèse, à revenir sur ce principe qui paraît avoir une grande généralité.

Il est un point remarquable, et sur lequel Isidore Geoffroy Saint-Hilaire a déjà insisté au sujet des animaux, c’est que la transmission des caractères sans fusion intime est excessivement rare dans les croisements d’espèces. Je n’en connais qu’une exception, qui se rencontre chez les hybrides qui se produisent naturellement entre deux espèces de corneilles, les Corvus corone et cornix, qui sont toutefois deux espèces très-voisines et ne différant que par la couleur. Je n’ai jamais rencontré de cas bien avéré de transmission de ce genre, même lorsqu’une des formes est fortement prépondérante sur l’autre, et lorsqu’on croise deux races qui ont été lentement formées par sélection de l’homme, et ressemblent par conséquent jusqu’à un certain point aux espèces naturelles. Les cas comme ceux de chiens d’une même portée, ressemblant à deux races distinctes, sont probablement dus à une superfétation, — c’est-à-dire à l’influence de deux pères. Tous les caractères énumérés plus haut, qui se transmettent exactement à certains descendants et pas aux autres, — tels que des couleurs distinctes, la peau nue, les feuilles glabres, l’absence de queue ou de cornes, les doigts surnuméraires, la pélorie, etc., sont tous connus pour avoir surgi subitement chez des individus tant végétaux qu’animaux. D’après ce fait, et d’après celui que les légères différences accumulées qui distinguent les unes des autres les races domestiques et les espèces, ne paraissent pas susceptibles de cette forme particulière de transmission, nous pouvons con-

  1. Nouv. Archives du Muséum, t. I, p. 100.