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DU CROISEMENT COMME CAUSE.

mais il est probable que les races importées ont été favorisées. On peut regarder les rats comme des animaux à demi domestiqués. Quelques rats (Mus alexandrinus) s’étant échappés au Jardin zoologique de Londres, les gardiens, pendant fort longtemps, attrapèrent fréquemment des rats croisés, qui furent d’abord demi-sang, puis présentèrent successivement toujours moins les caractères des rats d’Alexandrie, dont finalement il ne resta plus de traces[1]. Dans quelques parties de Londres, par contre, surtout près des Docks, où il arrive fréquemment des rats importés, on rencontre une variété infinie de formes intermédiaires entre les rats bruns, noirs et d’Alexandrie, qu’on considère ordinairement tous les trois comme des espèces distinctes.

On a souvent discuté la question de savoir combien il fallait de générations pour qu’une espèce ou une race put en absorber une autre par une série de croisements réitérés[2], et on a probablement beaucoup exagéré le nombre nécessaire. Quelques auteurs ont soutenu qu’il en fallait une douzaine, une vingtaine ou plus encore, ce qui est peu probable en soi, puisqu’à la dixième génération les descendants ne renferment plus que 1/1024 du sang étranger. Gärtner[3], expérimentant sur les plantes, a trouvé qu’une espèce peut en absorber une autre au bout de trois à cinq générations, et croit que cela doit toujours arriver dans six ou sept au plus. Dans un cas cependant, Kölreuter[4] parle des produits de Mirabilis vulgaris, croisé pendant huit générations successives avec le M. longiflora, comme ressemblant tellement à cette dernière, que l’observation la plus scrupuleuse n’aurait pu déceler « vix aliquam notabilem differentiam » ; il avait réussi, comme il le dit, « ad plenariam fere transmutationem. » Mais cette expression même montre que l’absorption n’était pas absolument complète, quoique ces plantes croisées ne continssent plus que la 256me partie du M. vulgaris. Les conclusions d’observateurs aussi exacts que Gärtner et Kölreuter ont une tout

  1. M. S. J. Salter, Journ. Linn. Soc., vol. VI, 1862, p. 71.
  2. Sturm, Ueber Racen, etc., 1825, p. 107. — Bronn, Geschichte der Natur, vol. II, p. 170, donne une table indiquant les proportions de sang après des croisements successifs. Dr P. Lucas, O. C., t. II, p. 308.
  3. Bastarderzeugung p. 463, 470.
  4. Nova Acta Petrop., 1791, p. 393.