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CHIENS.

certaines différences climatériques et constitutionnelles. Mais cela n’exclut pas l’intervention d’une somme considérable de variations[1]. Les croisements réciproques des diverses souches sauvages originelles et des variétés qui en sont provenues, ont augmenté considérablement le nombre total des races et, comme nous le verrons, en ont modifié fortement quelques-unes. Le croisement ne peut expliquer l’origine de formes extrêmes comme les lévriers, limiers, bouledogues, épagneuls Blenheim, terriers, etc., à moins d’admettre que des types offrant à un degré égal ou plus prononcé les caractères spéciaux de ces races, aient une fois existé dans la nature. Mais personne n’a osé encore supposer que des formes aussi peu naturelles aient jamais pu exister à l’état sauvage. Comparées aux membres connus de la famille des canidés, elles trahissent une origine distincte et anomale. On n’a aucune donnée de chiens, comme les lévriers, les épagneuls, les limiers, ayant été trouvés chez les sauvages : ils sont le produit d’une civilisation longtemps continuée.

Le nombre des races et sous-races est grand. Youatt décrit, par exemple, douze sortes de lévriers. Je n’essayerai pas d’énumérer ou de décrire ces variétés, parce que nous ne pourrions déterminer les différences qui doivent être attribuées à la variation de celles imputables à la provenance de souches originelles distinctes. Il vaut cependant la peine de mentionner quelques points. Pour commencer par le crâne, Cuvier a reconnu[2] que, quant à la forme, les différences sont « plus fortes que celles d’aucunes espèces sauvages d’un même genre naturel. » Les proportions des différents os ; la courbure de la mâchoire inférieure ; la position des condyles relativement au plan des dents (sur laquelle F. Cuvier a fondé sa classification) ; la forme de la branche postérieure chez les dogues ; celle de l’arcade zygomatique et des fosses temporales ; tout cela varie énormément[3]. Le chien possède normalement six paires de molaires à la mâchoire supérieure, et sept à l’inférieure, mais plusieurs naturalistes en ont trouvé à la mâchoire supérieure une paire additionnelle[4] ; et le professeur Gervais dit qu’il y a des chiens qui ont sept paires de dents supérieures et huit inférieures. De Blainville[5] a donné des détails complets sur la fréquence de ces dévia-

  1. Pallas même admet ceci. (Act. Acad. St-Pétersbourg, 1780, p. 93.)
  2. Cité par I. Geoffroy, loc. cit. III, p. 453.
  3. F. Cuvier, Ann. du Muséum, xviii, p. 337. — Godron, De l’Espèce, I, p. 342. — Col. Ham. Smith, Nat. Library, IX, p. 101.
  4. Isid. Geoff. St.-Hilaire, Hist. des Anomalies, 1832, I, 660. — Gervais, Hist. nat. des Mamm. II, p. 66. — De Blainville, Ostéog. Canidæ, p. 137, a vu une molaire supplémentaire des deux côtés.
  5. Ostéographie, p. 137.